lundi 11 mai 2009

Andrée Viollis grand reporter à Hong Kong

En 1931-1932, la journaliste Andrée Viollis effectue une série de reportages sur les événements dramatiques que traverse la Chine: occupation de la Mandchourie par les Japonais, émeutes d’étudiants appelant à la résistance, boycott anti-japonais et incertitudes politiques au sein du Kuomintang. Même si la colonie anglaise est à l’écart de ces violences, la journaliste n’en ressent pas moins, comme d’autres voyageurs occidentaux, la communauté chinoise comme une menace potentielle.
Figure célèbre du journalisme engagé, Andrée Viollis (1870-1950) a enquêté sur l’URSS en 1927, la guerre civile afghane en 1929 et publié L’Inde contre les Anglais en 1930. En 1935 elle fera paraître Indochine SOS, préfacé par André Malraux, pour dénoncer les abus de l’administration coloniale. Malraux voit dans Andrée Viollis une représentante de ce «nouveau journalisme» dont le but n’est plus «[…] de chercher des personnages mais des choses.» Andrée Viollis est alors une des très rares femmes grands reporters.
De décembre 1931 à mars 1932, la journaliste «couvre» les événements de Chine pour le Petit Parisien. En route vers Shanghaï, elle arrive à Hong-Kong à la fin de l’année: «Du coup, j’en oublie la Chine, car c’est un spectacle prodigieux. Jamais autant que dans la conquête de ce roc l’Angleterre n’a montré sa puissance et sa tenace énergie. En haut, la ville de plaisance en mosaïque avec ses blancs palais dans des parcs; en bas, la ville du travail et des affaires. Celle-ci entasse sur une largeur de moins de 600 mètres de la base du rocher au port, ses monuments, ses squares, ses pelouses où veillent les mêmes tristes statues de souverains qu’à Londres, affublés des mêmes falbalas de bronze. Elle aligne le long des rues et des quais ses banques, ses maisons de commerce, ses magasins aux noms orgueilleux, les mêmes qui sonnent à travers tout l’Empire […]».
Ne pouvant visiter les magasins fermés le samedi, elle assiste à une séance de cinéma. Si le décor de la salle l’étonne par son luxe, elle est surtout sensible à la séparation de fait des deux communautés: «Des familles en foule y pénètrent, s’y pressent, s’y prélassent : familles anglaises, les pères épanouis, pipe de bruyère dans un visage de jambon cru, bien plantés sur de vastes chaussures en cuir jaune, les mères maigres et anxieuses, couvant du regard des enfants vigoureux, cheveux de paille sous la casquette de club ou d’école ; familles chinoises, pères à la longue nuque, étalant leur bedaine dans la longue robe noire ou le costume européen ; fines jeunes filles maniérées, aux brillants cheveux courts, aux joues safranées et fardées, onduleuses dans des tuniques de soie claire les gainant étroitement des oreilles aux hanches ; garçons extraordinairement élégants, têtes laquées de noir, vestons sobres et lunettes d’écaille. Tout ce monde est paré, joyeux. Les groupes anglais échangent des signes, les groupes chinois s’interpellent. On cause, on plaisante, on rit. Mais entre Anglais et Chinois, aucun contact, nul mélange. Assis côte à côte, ils demeurent lointains, impénétrables, groupés dans cette salle par îlots qu’aucun courant ne relie.»
Sa soirée est consacrée à la ville chinoise: «Elle est immense, éclatante et pourtant mystérieuse […] Ce sont des gouffres d’aveuglante clarté, d’assourdissant et inquiétant tumulte. Tous les magasins sont grands ouverts. Partout des hommes penchés tapent sur le fer, scient ou sculptent le bois, déroulent des étoffes, taillent ou brodent le cuir. Quand dorment-ils? Ils travaillent, travaillent sans trêve, la nuit autant que le jour. […] Quelle foule! Ce n’est plus la glissante mollesse orientale de l’Inde mais des gens aux épaules robustes, à l’allure virile, au pas ferme. Dans les durs visages aux méplats nets, ce n’est pas non plus la fuite sournoise du regard annamite, de l’Annamite qui se considère comme un esclave, mais un œil hardi, aigu qui vous scrute et vous toise sans crainte ni aménité.[…] Tout à coup, un groupe se forme et grossit autour d’une affiche fraîchement collée: sous de grands caractères chinois de couleur rouge, un dessin représente deux petits soldats japonais, l’un avec un fusil, l’autre avec une baïonnette, s’élançant vers un colosse chinois qui attend leur choc, droit et méprisant, son grand sabre courbé au poing […] Et je songe soudain que dans cette ville de Hong-Kong, ils sont un million de Chinois contre une poignée d’Européens qui sont venus s’installer chez eux.»
Comme Marc Chadourne, autre journaliste célèbre, qui passe lui-aussi par Hong-Kong en 1931, elle perçoit la communauté chinoise comme une menace latente qui lui rappelle les propos d’un diplomate chinois à la Conférence de la Paix en 1919: «[…] Savez-vous que sur quatre hommes il y a toujours un Chinois? Savez-vous que nous sommes quatre cents millions, le quart de l’humanité? Quatre cents millions en 1919, quatre cents cinquante millions aujourd’hui! Ces chiffres que je voyais alors d’une façon abstraite, avec quelle terrible éloquence ils m’apparaissaient ce soir-là, perdue que j’étais dans la multitude agitée de cette grande ville effrayante de tumulte et d’éclat!»
Cette méfiance, elle ne la ressent pas lors d’une brève visite à Canton: «Comme à Hong-Kong, cinémas, théâtres, restaurants, piaillements, musiques, claquements sonores des socques de bois sur les pavés. Mais cependant, chose étrange, aucune animosité dans les regards et, cependant, je ne rencontre pas un seul Européen.»
Début janvier, elle se rend à Shanghaï et est témoin des combats sanglants de janvier-février opposant troupes chinoises et japonaises autour du quartier de Chapeî. A la mi-mars, voulant poursuivre son enquête sur les «réactions des événements de Mandchourie et de Shanghaï», elle s’embarque pour le Japon.

DVR.

Sources : Viollis (André), «Changhaï et le destin de la Chine», Paris, Editions Corréa, 1933. Crédits photographiques : http://www.geisteswissenschaften.fu-berlin.de

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