lundi 15 décembre 2008

Marc Chadourne, romancier en escale à Hong Kong

Marc Chadourne débarque à Hong Kong au début des années 30. Cette première étape de son séjour en Chine donne lieu à des descriptions imagées, fortes en couleurs et en mouvements, où l’auteur tente de rendre compte du tumulte qui l’entoure dans un style vif et percutant.
Originaire de Corrèze, Marc Chadourne a 23 ans aux sortirs de la Grande Guerre. Il s’engage comme fonctionnaire dans l’administration coloniale et occupe des postes en Océanie puis au Cameroun. Traducteur des romans de Conrad en français, il prête également sa plume à de nombreux journaux. En 1927, il publie Vasco, à la mémoire de son frère, également romancier, et récemment décédé ; il obtient le prix Femina 1930 pour Cécile de la Folie. Les succès de ces deux ouvrages lui permettent de prendre du temps pour voyager. Il se lance alors dans un cycle d’enquêtes à travers le monde. Première destination : la Chine, avec la sortie d’un ouvrage éponyme en 1931, récompensé par le grand prix du reportage. Première étape : Hong Kong…
«Aube moite. A peine levé, le soleil pompe, pour un prochain typhon, sur les eaux vertes, les vapeurs trop brillantes de la baie. Eployant leurs ailes brunes, oiseaux de nuit, des jonques louvoient, nous cernent. Sont-ce les pirates de Bias-Bay, ceux qui ont capturé le Solivken et le Kochow?» Avec un lyrisme incisif, mêlant étrangement phrases courtes et énumérations, le Français découvre la colonie britannique, ses contradictions et ses contrastes.
La première vision est celle des navires de guerre, ancrés dans la baie. «Une couronne de cimes surgit des nues, monts chauves où s’embusquent des coupoles blindées. Au passage, dans ces nids d’aigles, on devine les grands canons désoeuvrés… Gibraltar d’Asie». Et l’image s’élargit sur le reste du port: «Le brouillard s’ouvre. Mille flèches de feu, tumulte de foire. La foire aux navires : cargos, paquebots, escadres, centaines de coques, rouillées ou flambantes, noires, grises, blanches, rouges, qui hurlent, meuglent, sifflent, ferraillent. Entre elles, cinglent de sombres hordes dont les voiles sont des nattes ou des haillons […]. L’une de ces barques s’abat sur nous dans un grand fracas de bois cassé, de toiles claquantes, s’agrippe de vingt gaffes à la fois. Clameurs d’abordage.» Marc Chadourne entre dans le port!
«Ces hurlements de fous, cette frénésie, cette pouillerie patibulaire… je reconnais déjà tout cela. C’est la Chine, son cri de meute famélique, sa couleur d’épices, de chiffes et de fumée, son audace, sa voracité. La Chine…» Et l’auteur de se raviser en approchant des côtes. «Mais cette ville qui, lentement, émerge des buées, échafaude en un prodigieux mirage son amphithéâtre de buildings, de palaces, de bungalows, monte à la verticale avec ses jardins suspendus, ses routes en lacets, ses châteaux en l’air, son double pic droit vers le ciel orageux, non, ce n’est pas la Chine… C’est une ville anglaise, c’est Hong Kong.»
Comme beaucoup d’autres voyageurs avant et après lui, Marc Chadourne s’étonne de la façon dont cohabitent les deux cultures, les deux civilisations. Et comme beaucoup d’autres, il est admiratif du succès anglais sur l’île. «Hier un rocher aride que, seuls, les oiseaux de mer et les pêcheurs hantaient. Beau cadeau à faire à des Britanniques ! Aujourd’hui, une métropole d’Asie, la Porte du Sud. Cette ville a un âge d’homme. Ils ont mis moins de soixante ans à la bâtir.»
Il brosse le portrait d’une cité confortable, sans revenir sur les inconvénients d’un climat auquel il a été habitué au cours de ses affectations coloniales. En quelques lignes, il reconstruit Hong Kong, de l’océan vers les sommets: «Œuvre de titans. Le roc éventré, les déblais poussés à la mer, ils ont posé les bases: les quais, les warfs, les entrepôts, la cité, -la statue de la reine entre quatre piliers. Puis à l’assaut : les habitations, les jardins, les casernes, les prisons, les cathédrales hissées –pierre à pierre, panier de terre par panier de terre,- à flanc de précipice, côtoyant l’abîme. Les routes goudronnées suivent avec elles, sur la roche à vif, tous les organes: les noires conduites d’eau, de gaz, d’électricité. Et la pierre fleurit, sur les flèches des Missions les palmes s’éploient ; du caillou jaillit l’hybiscus (sic) aux langues rouges, le frangipanier étoilé. Mille et mille façades, briques sombres ou crépis pâles, Richmond ou Chelsea, contemplent la mer chinoise où se rangent, jouets d’enfants rois, les grands «men of war» de Sa Majesté. L’île déserte s’apprivoise, ouvre ses gorges et ses criques aux laiteries, aux clubs, aux tennis, aux golfs, -aux cocktails de Repulse-Bay. Que sont Palm-Beach, la Riviera auprès de cet éden macadamisé ? Partout la grandeur anglaise, partout le visage anglais. Au sommet, portant les couleurs, le Peak Hotel, lugubre et altier comme la Tour de Londres. D’un trait, le funiculaire vous y porte. Le pic est conquis.» Dans ce souffle enthousiaste, on perçoit à la fois l’admiration du fonctionnaire colonial et la passion de l’écrivain voyageur, envoûté par un univers indomptable au premier coup d’œil.
Maintenant sur le pic, Chadourne change de point de vue. Il embrasse du regard la ville depuis le haut, et contemple Central, la baie et Kowloon… «Cette cité pompeuse, le glorieux carré de banques, ces docks, ces entrepôts, ces arsenaux, et de l’autre côté du golfe que traversent chargés d’humanité, les ferry-boats, Kowloon, la péninsule aux collines lunaires où s’élève une ville neuve, Kowloon et ses manufactures, son Peninsular (sic) géant, terminus du rail qui, demain, reliera l’Europe à l’Extrême-Asie». Cette allusion au grand projet ferroviaire des Britanniques pendant l’entre-deux guerres montre que l’écrivain se renseigne avec pertinence sur l’actualité de la colonie. C’est le journaliste qui prend le dessus dans la suite du récit.

A suivre…

FD.

Sources : Marc Chadourne, La Chine, Plon, 1931. Illustrations de Covarrubias, tirées de l’édition originale ; http://jacbayle.club.fr Remerciements à M. Yves Azémar et son inépuisable librairie d'ouvrages anciens sur l'Asie, 89 Hollywood road - Hong Kong.

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