jeudi 4 décembre 2008

Jacques Guillermaz, militaire, diplomate et sinologue

Le général Jacques Guillermaz a consacré sa vie à la Chine, comme militaire, puis diplomate, attaché militaire auprès des représentations françaises, dont celle de Hong Kong, ville qui le fascine, et enfin comme universitaire. Il fut un des meilleurs sinologues français du XXe siècle, spécialiste de la Chine contemporaine, et ses ouvrages ont abreuvé des milliers d’étudiants, de diplomates et de lecteurs intéressés ou passionnés par la Chine.
Fils d’officier, né en 1911, Jacques Guillermaz décide de se consacrer aux métiers des armes et intègre l’Ecole Spéciale Militaire de Saint-Cyr en 1930, après avoir préparé le concours au Prytanée militaire de La Flèche. Diplômé en 1932, le lieutenant Guillermaz est nommé en mai 1937 attaché militaire adjoint à Pékin, à la veille de l’invasion japonaise. Ce hasard des affectations a une influence déterminante sur le reste de sa carrière. En effet, alors que rien ne le prédestinait à un séjour en Extrême-Orient, cette mutation à Pékin sera la première d’une longue liste d’affectations en Chine mais aussi en Asie. Le jeune lieutenant embarque en février 1937 sur le paquebot «Aramis» des Messageries Maritimes et, après des escales à Port-Saïd, Suez, Djibouti, Colombo, Singapour et Saigon, Jacques Guillermaz découvre la Chine à Hong Kong. Son émerveillement ne se tarira jamais: «Au-dessus de son incomparable rade, cette dernière ville, qui m’apparut surtout comme un morceau de l’Empire britannique, étageait ses quartiers d’affaires, ses faubourgs populeux, ses villas coloniales.» Hong Kong est en effet la première étape d’une vie consacrée à la Chine. Jacques Guillermaz apprend la langue des Chinois, essaie d’en découvrir les coutumes et la culture et tente d’en comprendre la mentalité et les mœurs politiques. Sa maîtrise du chinois lui permet, au cours de sa carrière, de lier des relations avec des politiciens, des militaires, des seigneurs de la guerre et des personnages parfois troubles mais aussi avec l’homme de la rue, le marchand, le coiffeur, le tenancier d’échoppe.
De 1937 à 1943, le lieutenant puis capitaine Guillermaz voyage en Chine, dans des conditions souvent précaires, voire dangereuses. Il suit le gouvernement du Guomindang de Tchiang-Kai-chek (JiangJieshi) de Nankin à Chongqing. Il rejoint ensuite la France libre à Alger, participe aux combats de la Libération et débarque sur les plages de Provence. Le commandant Guillermaz reprend ensuite en 1946 son poste d’attaché militaire à Nankin, où s’est réinstallé le gouvernement nationaliste. Il y demeure jusqu’en 1951 et assiste à la victoire communiste de 1949. Parmi les derniers Occidentaux à quitter la Chine communiste, Jacques Guillermaz observe attentivement pendant plus d’an an la transition du pouvoir et les changements imposés à la société, tels que le contrôle sur la population, la réforme agraire ou la loi sur le divorce. Le 22 janvier 1951, le lieutenant-colonel Guillermaz quitte la Chine Populaire et franchit la frontière avec Hong Kong au pont de Lowu. Mais, pendant les six mois qui suivent, Jacques Guillermaz continue à Hong Kong sa mission d’observation de la Chine et des profondes mutations engagées par le nouveau régime.
Il devient ainsi un de ces premiers et fameux «China watchers» qui, pendant des décennies, utilisèrent Hong Kong comme poste d’observation avancé de la «Chine rouge». Du fait du statut du territoire, colonie britannique relevant directement de la couronne, le lieutenant-colonel Guillermaz est nommé «attaché militaire adjoint à Londres, détaché à Hong Kong». Sur fond de guerre froide, en période de guerre de Corée et de guerre d’Indochine, il étudie attentivement à partir de Hong Kong les évènements politiques qui déchirent la Chine et l’Asie. «Par son caractère international, sa situation au flanc de la Chine continentale, ses réfugiés, Hong Kong était naturellement un formidable nœud d’informations politiques et économiques». Les guerres qui sévissent en Asie se répercutent bien sûr à Hong Kong : «A l’époque, la population de Hong Kong ne dépassait guère cinq cent mille personnes. Les industriels chinois repliés de Shanghai, aidés par les capitaux des Chinois d’outre-mer, n’avaient guère lancé que quelques entreprises. Cependant la guerre de Corée gonflait le trafic du port, les bâtiments américains y relâchaient souvent, provoquant un certain «boom» des affaires dans les boutiques et les bars des quais et démontrant, une fois de plus, les surprenantes qualités commerciales des Chinois.»
Jacques Guillermaz, dans sa description du Hong Kong de 1951, garde aussi cet émerveillement dont il témoignait déjà en 1937 : «Vu du pic ou des villas de Peak Road, le panorama de Hong Kong coupait le souffle. Ni le site prodigieux de Chungking, ni la rade de Toulon, ni la baie de Diégo-Suarez que je connaissais déjà, ni la baie d’Along, ni les lacs et les archipels finlandais de Kuopio que je devais connaître plus tard n’égalent la grandeur sereine de ses îles, de ses rocs, de ses promontoires aigus et fauves surgis d’une mer azurée ou céruléenne. Le glissement d’un croiseur gris-bleu rentrant au port au milieu de jonques trapues, aux voiles carrées traversées de nervures, le mouvement des cargos venus de partout, les allées et venues des ferries de la Star Line, abeilles bourdonnantes, les rumeurs montant sans cesse des rues fébriles, tout se fondait dans un seul cadre immense et superbe, mêlant l’immobilité éternelle du décor et le bouillonnement éphémère des hommes». Pour cet amoureux de l’Histoire, «les grands emporiums de l’Antiquité devaient offrir un spectacle analogue et de pareilles émotions».
A Hong Kong, l’attaché militaire, familier de la Chine, côtoie tous ceux qui, par leurs fonctions ou leur expérience, représentent des sources d’informations précieuses: «des Chinois, citoyens britanniques et anoblis par la Reine [portant] fièrement leur titre de «sir»,» «gentlemen chinois», policiers, militaires «de la garnison anglaise, qui se comportait comme en Angleterre», banquiers «avec la même gravité que les Anglais de la City», «agents de compagnies de navigation, hommes d’affaires qui, par toutes sortes de voies obscures, étaient souvent avertis avant tout le monde d’évènements survenus ou à venir», […], «quelques bons journalistes, surtout américains anciens de Chine, qui se retrouvaient au Press Club de Canal Road, [et] se montraient intéressants et actifs». Il travaille aussi très étroitement avec son ami André Travert, «Secrétaire d’Extrème-Orient archiviste», personnage hors du commun, futur consul général de France à Hong Kong, 30 ans plus tard, et sur lequel nous reviendrons.En juin 1951, le lieutenant-colonel Guillermaz quitte Hong Kong en même temps que le consul de France Robert Jobez, à bord du paquebot «Félix Roussel». Il est remplacé par le capitaine Galula, que nous retrouverons également dans notre saga des Français de Hong Kong. Puis le colonel Guillermaz est nommé attaché militaire à Bangkok, de 1952 à 1956. Il commande ensuite un régiment pendant la guerre d’Algérie, de 1956 à 1958.
A l’issue de ce temps de commandement, Jacques Guillermaz quitte le service actif et entame une troisième carrière, après celles de militaire et de diplomate. Il devient en effet universitaire et se consacre à l’histoire contemporaine de cette Chine où il a passé de longues années. Il fonde le «Centre de recherches et de documentation sur la Chine contemporaine», connu des étudiants sous le nom de «Centre Chine». Jacques Guillermaz en est le directeur de 1958 à 1976, en même temps que directeur de recherche à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes et à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales. Mais le général Guillermaz est aussi rappelé au service actif pour devenir en 1964 le premier attaché militaire près l’ambassade de France à Pékin, qui ouvre cette année-là après l’établissement des relations diplomatiques entre la France et la Chine Populaire. La «Chine Populaire» justement, c’est le titre d’un «Que Sais-je?» que Jacques Guillermaz consacre en 1959 à la nouvelle Chine, premier ouvrage d’une série de livres qui constituent une mine d’informations sur la Chine Populaire et le Parti communiste chinois. Dans sa dernière oeuvre, «Une vie pour la Chine : mémoires 1937-1989», Jacques Guillermaz raconte son expérience unique, cette triple vie consacrée à un pays qu’il a aimé et dont il a essayé de transmettre les clés pour le comprendre. Le général Jacques Guillermaz est décédé en 1998.

CR.

Sources : Archives du ministère des Affaires étrangères, Paris ; Jacques Guillermaz, «Une vie pour la Chine, mémoires 1937-1989», deuxième édition, coll. Pluriel, Robert Laffont, 1993. Crédit photographique : EHESS.

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