lundi 22 décembre 2008

Joyeux Noël et bonne année 2009

Le blog des 160 ans d'histoire(s) des relations entre Hong Kong et la France prend des vacances... Depuis six mois déjà, nous avons compilé et recoupé des informations provenant de centaines de documents et de dizaines de sources, pour mettre en lumière la présence française à Hong Kong depuis 1848 (et avant...). Anecdotes insolites, grandes aventures humaines, épopées techniques et récits du quotidien, nous avons tenté de vous apporter une vision large et riche de cette Histoire en construction.

Il y a encore tant à dire! Nous vous donnons donc rendez-vous le lundi 5 janvier pour de nouvelles aventures historiques... d'ici là, passez de très bonnes fêtes de fin d'année!

Christian Ramage.
François Drémeaux.

jeudi 18 décembre 2008

Marc Chadourne, journaliste en escale à Hong Kong

Après Chadourne l’écrivain, lundi dernier, voici Chadourne le journaliste… Lors de son séjour à Hong Kong, le Français ne se contente pas de décrire son environnement. Il interroge ses compatriotes installés sur place depuis quelques temps. Il fait notamment la connaissance d’un employé de la Banque d’Indochine qui l’embarque dans une instructive séance de shopping. Crise financière, contrefaçon, discussions sur le «made in China», les thèmes abordés ont parfois une résonance actuelle.
Une fois les premières impressions sur la ville apparues sous son incisive plume, Marc Chadourne donne dans la nuance et s’attarde sur l’actualité de la ville. Alors que la Chine est percluse de révoltes, les Européens semblent dominer. «Au seuil de ce continent obscur et chaotique dont il tient les entrées, la rivière et le rail, l’Occident est maître. Tentation vertigineuse: ce vieux monde malade est à lui. Erreur. Rien n’est à lui. Ce qu’elle a donné, la Chine sait le reprendre. Ne l’a-t-elle pas déjà repris?».
Le journaliste prend le dessus dans la suite du récit. Il retrace brièvement les récents événements de 1925-26 qui ont bouleversé la colonie britannique. Le tumulte social dirigé depuis Canton par les communistes et, surtout, le fameux envoyé des Soviets, Borodine, est dépeint en quelques lignes; une année de grèves, de boycott, de fuites des ouvriers communistes vers la Chine… jusqu’au jour où «l’étreinte se desserre. Hong Kong revit languissamment.» Le port, fatigué, se remet doucement, mais ses insuffisances sont montrées du doigt.
«Sous les arcades de la cité que les hautes façades victoriennes écrasent d’une ombre maussade, je cherche les marques de sa faiblesse. Du dehors, rien ne paraît. Aux devantures, les éternels accessoires de luxe anglais : les beaux tweeds, les clubs de golf, les cravates rayées. Dedans, personne ! Si, les vendeurs qui s’empressent au-devant du client inespéré.» Le journaliste enquête du côté des maîtres de la ville. «Les grandes cités ont leurs médecins : ce sont les banquiers. Ils connaissent, s’ils ne le soignent, leur mal secret. Ils ont chaque jour leurs feuilles de température : les cours de change, le cours des titres. […] Je vais voir le praticien de la BIC [banque d’Indochine]. […] C’est un Français jovial, alerte […]. Il enveloppe de bonne humeur un pessimisme désintéressé : - Cela va mal oui. Mais ailleurs ? L’argent baisse un peu partout. C’est la crise… Ici les gens achètent moins: les lords de la guerre les ont trop squezzés.» Pour le banquier, le boycott est déjà de l’histoire ancienne. Les affaires reprennent et selon lui les Chinois ont encore bien trop besoin de Hong Kong; au passage, il révèle d’ailleurs que ce sont les Anglais qui leur vendent les fameux mausers aux Chinois…Chadourne questionne encore le banquier. Il n’y aurait donc plus aucun danger pour Hong Kong? Si, mais bien différent. Avec l’exemple des cotonnades anglaises, le financier résident explique que les importations ont dégringolé en flèche depuis 1925, non à cause du boycott, mais parce que les Chinois ont désormais leurs propres manufactures «à l’instar des disciples de Gandhi!». Le banquier continue sous la plume du journaliste: «A Kowloon, ils ont fait du beau travail les Anglais : ils ont remué ciel et terre, basculé les collines, ouvert les montagnes. […] Résultats : les filatures chinoises ont pris la place aménagée. Avant dix ans, Kowloon, territoire anglais, sera devenu le Manchester chinois.»
Le résultat est un peu plus loin, dans un lieu que le guide appelle le «Sincere», et que le romancier compare à «la Samaritaine pendant les fêtes de Noël. Avec encore plus de lampions, de festons, de lanternes. Les portes battent sous un double flot continu». Marc Chadourne découvre une bourgeoisie chinoise de Hong Kong, jeune, habillée à la mode et achetant des produits d’Europe. Dix étages de luxe, «des restaurants, dancing, théâtre sur le toît, limonade-concert et vue sur Hong Kong». L’ancêtre des plus modernes «shopping mall» posent toutefois quelques problèmes aux Européens.
Le banquier explique qu’avant, les intermédiaires européens étaient nécessaires. Maintenant tout se fait par catalogues et codes chiffrés. Les Chinois peuvent se fournir directement. Sans intermédiaires, les prix baissent de moitié. C’est la fin d’un système économique et c’est la première partie d’un danger plus réel que le boycott.
Marc Chadourne s’amuse devant un chapeau anglais bien étrange, puis face à des complets vestons aux couleurs dont il ne soupçonnait pas l’existence. «De nos chapeaux eux-mêmes ils ont fait des chapeaux chinois. Occidentalisez la Chine et vous avez ce curieux cas de mimétisme à rebours : le chapeau caméléon.» Le secret et le succès de ces entreprises reposent largement sur la contrefaçon, c’est le deuxième péril majeur pour les Européens. L’ami banquier continue son explication: «le client chinois a encore le fétichisme de la marque d’Occident. Mais ça s’imite. Qui songe à protéger la marque en ce doux pays ? Voulez-vous voir les parfums, tous les faux Pivert, tous les faux Coty ? Comprenez-vous les prix du «Sincere» à présent?»
La démonstration se poursuit par la conjonction des deux menaces, devant un authentique disque gramophone. Aucun doute, il ne peut être copié. Marc Chadourne s’entend annoncer le prix, négociable, de 90 dollars alors que le représentant de la firme, sans commission le vend à 120. «Ils vous vendront sans bénéfice. A perte même probablement. Ils ont tout le reste pour se rattraper. Mais ils auront le client –et la peau du concurrent. Vous voyez pourquoi j’achète ici mes chaussettes et mes souliers «Made in China»? Voilà pourquoi ça dort, là-bas, dans la Cité. Vous vouliez connaître le danger ? Il est là.»
Sur le toît terrasse du grand magasin, les deux hommes prennent un verre. «Il n’y a pas que des «Sincere»… il y a des «Wing-On», des «Sun» […], la façade est anglaise. Mais dedans, tout est chinois». Les deux hommes devisent sur ce monde qui bouge, sans eux; l’un est fasciné et regarde avec passion, l’autre est inquiet et en parle avec amertume. Tout est question de point de vue.Le lendemain, Marc Chadourne prend le train vers Canton et rencontre un jeune étudiant hongkongais, fraîchement revenu d’Europe avec son diplôme de Droit. Une conversation s’engage sur la révolution communiste… que le jeune homme part rejoindre.

FD.

Sources : Marc Chadourne, La Chine, Plon, 1931.
Illustrations de Covarrubias, tirées de l’édition originale.

Remerciements à M. Yves Azémar et son inépuisable librairie d'ouvrages anciens sur l'Asie, 89 Hollywood road - Hong Kong.

lundi 15 décembre 2008

Marc Chadourne, romancier en escale à Hong Kong

Marc Chadourne débarque à Hong Kong au début des années 30. Cette première étape de son séjour en Chine donne lieu à des descriptions imagées, fortes en couleurs et en mouvements, où l’auteur tente de rendre compte du tumulte qui l’entoure dans un style vif et percutant.
Originaire de Corrèze, Marc Chadourne a 23 ans aux sortirs de la Grande Guerre. Il s’engage comme fonctionnaire dans l’administration coloniale et occupe des postes en Océanie puis au Cameroun. Traducteur des romans de Conrad en français, il prête également sa plume à de nombreux journaux. En 1927, il publie Vasco, à la mémoire de son frère, également romancier, et récemment décédé ; il obtient le prix Femina 1930 pour Cécile de la Folie. Les succès de ces deux ouvrages lui permettent de prendre du temps pour voyager. Il se lance alors dans un cycle d’enquêtes à travers le monde. Première destination : la Chine, avec la sortie d’un ouvrage éponyme en 1931, récompensé par le grand prix du reportage. Première étape : Hong Kong…
«Aube moite. A peine levé, le soleil pompe, pour un prochain typhon, sur les eaux vertes, les vapeurs trop brillantes de la baie. Eployant leurs ailes brunes, oiseaux de nuit, des jonques louvoient, nous cernent. Sont-ce les pirates de Bias-Bay, ceux qui ont capturé le Solivken et le Kochow?» Avec un lyrisme incisif, mêlant étrangement phrases courtes et énumérations, le Français découvre la colonie britannique, ses contradictions et ses contrastes.
La première vision est celle des navires de guerre, ancrés dans la baie. «Une couronne de cimes surgit des nues, monts chauves où s’embusquent des coupoles blindées. Au passage, dans ces nids d’aigles, on devine les grands canons désoeuvrés… Gibraltar d’Asie». Et l’image s’élargit sur le reste du port: «Le brouillard s’ouvre. Mille flèches de feu, tumulte de foire. La foire aux navires : cargos, paquebots, escadres, centaines de coques, rouillées ou flambantes, noires, grises, blanches, rouges, qui hurlent, meuglent, sifflent, ferraillent. Entre elles, cinglent de sombres hordes dont les voiles sont des nattes ou des haillons […]. L’une de ces barques s’abat sur nous dans un grand fracas de bois cassé, de toiles claquantes, s’agrippe de vingt gaffes à la fois. Clameurs d’abordage.» Marc Chadourne entre dans le port!
«Ces hurlements de fous, cette frénésie, cette pouillerie patibulaire… je reconnais déjà tout cela. C’est la Chine, son cri de meute famélique, sa couleur d’épices, de chiffes et de fumée, son audace, sa voracité. La Chine…» Et l’auteur de se raviser en approchant des côtes. «Mais cette ville qui, lentement, émerge des buées, échafaude en un prodigieux mirage son amphithéâtre de buildings, de palaces, de bungalows, monte à la verticale avec ses jardins suspendus, ses routes en lacets, ses châteaux en l’air, son double pic droit vers le ciel orageux, non, ce n’est pas la Chine… C’est une ville anglaise, c’est Hong Kong.»
Comme beaucoup d’autres voyageurs avant et après lui, Marc Chadourne s’étonne de la façon dont cohabitent les deux cultures, les deux civilisations. Et comme beaucoup d’autres, il est admiratif du succès anglais sur l’île. «Hier un rocher aride que, seuls, les oiseaux de mer et les pêcheurs hantaient. Beau cadeau à faire à des Britanniques ! Aujourd’hui, une métropole d’Asie, la Porte du Sud. Cette ville a un âge d’homme. Ils ont mis moins de soixante ans à la bâtir.»
Il brosse le portrait d’une cité confortable, sans revenir sur les inconvénients d’un climat auquel il a été habitué au cours de ses affectations coloniales. En quelques lignes, il reconstruit Hong Kong, de l’océan vers les sommets: «Œuvre de titans. Le roc éventré, les déblais poussés à la mer, ils ont posé les bases: les quais, les warfs, les entrepôts, la cité, -la statue de la reine entre quatre piliers. Puis à l’assaut : les habitations, les jardins, les casernes, les prisons, les cathédrales hissées –pierre à pierre, panier de terre par panier de terre,- à flanc de précipice, côtoyant l’abîme. Les routes goudronnées suivent avec elles, sur la roche à vif, tous les organes: les noires conduites d’eau, de gaz, d’électricité. Et la pierre fleurit, sur les flèches des Missions les palmes s’éploient ; du caillou jaillit l’hybiscus (sic) aux langues rouges, le frangipanier étoilé. Mille et mille façades, briques sombres ou crépis pâles, Richmond ou Chelsea, contemplent la mer chinoise où se rangent, jouets d’enfants rois, les grands «men of war» de Sa Majesté. L’île déserte s’apprivoise, ouvre ses gorges et ses criques aux laiteries, aux clubs, aux tennis, aux golfs, -aux cocktails de Repulse-Bay. Que sont Palm-Beach, la Riviera auprès de cet éden macadamisé ? Partout la grandeur anglaise, partout le visage anglais. Au sommet, portant les couleurs, le Peak Hotel, lugubre et altier comme la Tour de Londres. D’un trait, le funiculaire vous y porte. Le pic est conquis.» Dans ce souffle enthousiaste, on perçoit à la fois l’admiration du fonctionnaire colonial et la passion de l’écrivain voyageur, envoûté par un univers indomptable au premier coup d’œil.
Maintenant sur le pic, Chadourne change de point de vue. Il embrasse du regard la ville depuis le haut, et contemple Central, la baie et Kowloon… «Cette cité pompeuse, le glorieux carré de banques, ces docks, ces entrepôts, ces arsenaux, et de l’autre côté du golfe que traversent chargés d’humanité, les ferry-boats, Kowloon, la péninsule aux collines lunaires où s’élève une ville neuve, Kowloon et ses manufactures, son Peninsular (sic) géant, terminus du rail qui, demain, reliera l’Europe à l’Extrême-Asie». Cette allusion au grand projet ferroviaire des Britanniques pendant l’entre-deux guerres montre que l’écrivain se renseigne avec pertinence sur l’actualité de la colonie. C’est le journaliste qui prend le dessus dans la suite du récit.

A suivre…

FD.

Sources : Marc Chadourne, La Chine, Plon, 1931. Illustrations de Covarrubias, tirées de l’édition originale ; http://jacbayle.club.fr Remerciements à M. Yves Azémar et son inépuisable librairie d'ouvrages anciens sur l'Asie, 89 Hollywood road - Hong Kong.

jeudi 11 décembre 2008

La stèle des Français Libres

Il y a 60 ans était inaugurée à Hong Kong une stèle érigée à la mémoire des Français Libres morts pour la France pendant la Seconde Guerre Mondiale. Ce monument, lieu de mémoire, témoigne des actes de bravoure de Français qui ont pris part à la défense de Hong Kong en décembre 1941 ou qui ont participé à la résistance contre l’occupant japonais.
Le 31 mars 1948, une stèle à la mémoire des Français Libres est inaugurée par le consul de France, Robert Jobez, au cimetière militaire de Stanley, situé sur une péninsule au Sud de l’île de Hong Kong. C’est dans cette partie méridionale de l’île que se déroulent fin décembre 1941 les derniers combats contre les forces d’invasion japonaises. Cet endroit est aussi le site d’un camp de triste réputation où furent internés les Occidentaux faits prisonniers par l’armée japonaise après la capitulation de la colonie. Les Français Libres du territoire ont tous pris part à la bataille de Hong Kong. La stèle a été élevée par l’Association des Français Libres, dont le consul est délégué, «à la mémoire de leurs camarades tués ou décédés à Hong Kong». Dans une lettre du 31 mars, le consul précise que «ce monument érigé d’accord avec les autorités locales à l’entrée du cimetière militaire de Stanley a pu être construit grâce aux souscriptions des membres et à une conribution de la section de Changhai». Quand la stèle est inaugurée, quatre noms et mentions figurent sur une plaque de marbre blanc, où sont inscrites aussi les trois mentions «Pro Patria», «A la mémoire de nos camarades» et «Français Libres». Les archives du ministère des Affaires étrangères permettent de reconstituer le sort de ces Français Libres morts pour la France en Asie:
- «Lieutenant Frédéric Marie Jocosta, né le 12 juin 1908, engagé volontaire le 8 décembre 1941, tué à North Point le 19 décembre 1941»: officier de liaison et chef du service de renseignement de la France Libre à Singapour, Frédéric Jocosta est de passage à Hong Kong en octobre 1941. Il rejoint le Corps des Volontaires dès le premier jour de l’invasion japonaise, lancée le lendemain de l’attaque de Pearl Harbour. Frédéric Jocosta est tué dans les combats des premières semaines, sur l’un des points d’appui britanniques de la défense de l’île de Hong Kong.
- «Soldat Armand Delcourt, A.S.C. né à Tournai le 4 mai 1899, engagé volontaire en juillet 1940, tué à Répulse Bay le 21 décembre 1941»: les archives précisent que «Monsieur Armand Delcourt, d’origine française mais belge de nationalité a trouvé la mort à Hong Kong dans des conditions particulièrement dramatiques». Le soldat Delcourt est en effet grièvement blessé de deux coups de baïonette à l’abdomen le 21 décembre. Deux jours plus tard, alors qu’il cherche un poste de secours pour se faire soigner, il est capturé par des soldats japonais à Repulse Bay, en même temps qu’une dizaine de soldats britanniques. Tous sont exécutés une demi-heure après leur capture d’une balle dans la nuque. Le consul de France, dans un mémoire de proposition pour décoration à titre posthume en date du 23 février 1947, précise au sujet d’Armand Delcourt : «faisant partie lui aussi malgré sa nationalité du mouvement de la France Libre et à ce titre s’était engagé dans le Corps des Volontaires».
- «Cannonier Pierre B.M. Mathieu, 2nd BTY, né à Marseille le 5 juillet 1911, engagé volontaire en juillet 1940, décédé à Sham Shui Po le 27 août 1943». Agent de la compagnie Optorg de Hong Kong, Pierre Mathieu rejoint la France Libre en 1941 et devient secrétaire de la section de Hong Kong. Incorporé dans le Corps des Volontaires, affecté à la Deuxième Batterie d’artillerie, il est fait prisonnier le 25 décembre 1941, dernier jour des combats, et se trouve interné à North Point puis à Stanley. C’est dans ce dernier camp, Sham Shui Po, qu’il meurt «électrocuté sur les fils de fer barbelés».
- «Captain J.B.E.R. Egal, H.K.V.D.C., né à Montclar d’Agenais le 6 mars 1892, décédé le 29 décembre 1947 à Hong Kong»: René Egal est l’ancien responsable de la France Libre à Shanghai et se trouve en transit à Hong Kong à l’ouverture des hostilités. Il rejoint le Corps des Volontaires de Hong Kong, comme capitaine, et fait partie du détachement chargé de la protection de l’usine électrique de l’île de Hong Kong. René Egal est fait prisonnier dans les premiers jours des combats et est interné au camp des officiers de Sam Shui Ho, à Kowloon. Un officier britannique, échappé de ce camp en 1944, fournit alors des nouvelles sur René Egal pendant sa période de captivité. En juillet 1944, Egal est «en bonne santé et a conservé un excellent moral. […] Il est assez convenablement traité et peut se procurer des vivres de l’extérieur. Il lui est permis de correspondre avec sa femme qui est professeur au collège municipal français de Shanghai». Libéré en 1945, René Egal reste à Hong Kong et ses années de captivité semblent l’avoir affaibli. Il décède en 1947 à l’âge de 54 ans.
Plusieurs années après son inauguration, la stèle est déplacée vers l’extrémité sud du cimetière de Stanley et la plaque est changée, comme le montre la comparaison des photos datant de 1948 et 2008. Deux noms sont aussi ajoutés à la liste initiale :
- «Henri Belle, décédé à Narume, près de Nagoya le 3 novembre 1944» : marin de la marine marchande, Henri Belle est en transit à Hong Kong lors de l’invasion japonaise, alors qu’il s’est porté volontaire pour rejoindre la France Libre. Il s’engage alors lui aussi dans le Corps des Volontaires et est fait prisonnier à l’issue des combats. Comme d’autres prisonniers occidentaux, Henri Belle est transféré vers un camp d’internement au Japon où il décède en 1944, sans que les causes du décès soient connues.
- «Paul de Roux, victime de la Kempetai, décédé à Hong Kong le 19 février 1944» : directeur de la Banque d’Indochine à Hong Kong, Paul de Roux prend part à la résistance contre les forces d’occupation japonaises. Arrêté et torturé par la police secrète japonaise, la Kempetai, il meurt le 19 février 1944. L’acte de décès dressé auprès des autorités britanniques le 13 avril 1950, sur témoignage de «M. Kwok Chan, compradore de la Banque de l’Indochine», mentionne «Unknown» pour la cause de la mort, indication «inconnue» reprise dans la transcription de cet acte de décès, inscrite au Consulat de France le 17 avril 1950.
Pendant une cinquantaine d’années, de 1948 à 1997, le Consulat de France et les attachés militaires qui y sont affectés, comme le lieutenant-colonel Jacques Guillermaz ou le capitaine Galula, participent régulièrement aux commémorations organisées au cimetière militaire de Stanley, les 11 novembre, 8 mai ou 18 juin. Après la rétrocession de 1997, les fonctions d’attachés militaires sont supprimées et la tradition semble se perdre. On peut cependant relever, il y a une dizaine d’années, la tenue d’une cérémonie franco-anglaise au cimetière militaire. Le 8 août 2000 en effet, le commandant de la frégate Aconit et celui de la frégate de la Royal Navy HMS Cornwall, toutes deux en escale à Hong Kong, déposent une gerbe sur la stèle des Français Libres. Le geste est chargé de symboles car la frégate Aconit, dont le fanion arbore la croix de Lorraine des Forces Françaises Libres (FFL), porte le nom d’une corvette des Forces Navales Françaises Libres (FNFL), en opérations au côté de la Royal Navy pendant toute la guerre et célèbre pour avoir coulé deux sous-marins allemands le 11 mars 1943, à quelques heures de distance.
La tradition revit quand, les 18 juin 2007 et 2008, à l’occasion des escales du bâtiment de commandement et de ravitaillement BCR Var, navire accueillant l’amiral commandant la zone maritime de l’Océan Indien, une cérémonie de dépôt de gerbe est organisée le jour de l’Appel du 18 juin. Et la Marine Nationale, familière du port de Hong Kong depuis ses débuts, est également présente le 14 juillet 2007 quand les marins du Bagad Saint Mandrier, invités à Hong Kong pour la fête nationale, participent, au son de la cornemuse, à une cérémonie à la mémoire des Français Libres. Soixante ans après son inauguration, la stèle des Français Libres est redevenue un lieu de mémoire de la communauté française de Hong Kong.

CR.

Sources : archives du ministère des Affaires étrangères, Paris, fonds Londres ; Archives du Consulat général de France à Hong Kong ; Evan Stewart, Hong Kong Volunteers in Battle, Ye Olde Printerie, Hong Kong, 1953.
Crédits photographiques : archives du ministère des Affaires étrangères, Paris - Consulat général de France à Hong Kong.

lundi 8 décembre 2008

A Kowloon, le collège La Salle sort de terre en 1930

Nous avons déjà évoqué l’enseignement laïc et français à Hong Kong, et son histoire mouvementée de 1964 à nos jours (ici). Avant la Seconde Guerre mondiale, il existe déjà un enseignement français, le plus souvent bilingue par ailleurs, animé par les religieux. Les écoles des Frères français connaissent alors un grand succès, à tel point qu’en 1930, un nouveau collège est inauguré. Le Frère Aimar en est le fondateur.
Le 5 novembre 1930, la première pierre du collège La Salle est posée à Kowloon, dans une zone alors fraîchement urbanisée. Un acte tout à fait symbolique, puisque comme le dit Georges Dufaure de la Prade, Consul général de France en poste à l’époque, «à proprement parler la première pierre a été scellée alors que les travaux d’édification du collège se trouvent déjà poussés fort loin : deux étages sont [déjà] construits.» Sir William Peel, Gouverneur de Hong Kong, officie en ce jour d’inauguration des travaux, accompagné de Mgr Constantini, le délégué apostolique, ainsi que Mgr Valtorta, évêque de Hong Kong. L’événement mérite en effet tous ces déplacements car c’est un projet ambitieux qui vise à ancrer plus encore l’enseignement des religieux français à Hong Kong.
Les Frères de la doctrine chrétienne, à l’origine de ce nouvel établissement, ont inauguré leur première école à Hong Kong en 1875. Ils déménagèrent de nombreuses fois pour s’établir enfin sur Kennedy road avec le collège Saint-Joseph, en 1914 ; le Frère Aimar, tout juste arrivé à Hong Kong est alors nommé Directeur. Il en fait «l’un des meilleurs établissements d’éducation de la ville», fort de 620 élèves en 1930. Avec cette solide réputation vient la crise du logement : les effectifs augmentent et les nombreux aménagements de l’école ne suffisent plus à contenir tout le monde. Le consul revient sur les faits : «C’est à partir de 1924, que le Directeur des Frères de la Doctrine chrétienne, préoccupé par l’exiguïté de son école située à Hong Kong et désireux aussi de donner satisfaction aux doléances des parents d’élèves résidant à Kowloon, rechercha, dans les nouveaux districts et dans la partie dénommée Kowloon Tong, le site le mieux approprié pour l’établissement d’un collège».
Dufaure de la Prade rappelle que le précédent gouverneur, Sir Cecil Clementi, était également enthousiaste sur ce projet; c’est lui qui a aidé les Frères à acquérir le terrain sur lequel ils ont jeté leur dévolu. «Ce terrain, d’une superficie de plus de 400 acres fut acquis pour la somme de 120,000 dollars le 23 avril 1928, les plans furent immédiatement dressés, et sitôt qu’ils eurent été approuvés par le Supérieur Général de la Société […] les travaux commencèrent ; ils représentent une dépense de 900,000 dollars.» Au final, «il s’agit d’un bâtiment considérable, en ciment armé, comportant l’emplacement pour vingt classes, pour une salle de réunion, des laboratoires de physique et de chimie ; sept cents élèves pourront y suivre leurs cours et se préparer aux examens correspondant à notre certificat d’étude et à notre baccalauréat.» On est bien loin des 35 élèves de 1964… car l’ambition n’est pas la même. Les religieux souhaitent également atteindre le public autochtone pour poursuivre et consolider leur œuvre d’évangélisation.
La question financière préoccupe beaucoup le Frère Aimar, Directeur des deux collèges. Les ressources sont épuisées, «mais il espère que ceux qui s’intéressent aux choses de l’éducation l’aideront,» précise le Consul, «et puis, par-dessus tout, il sait en bon Français qu’il est, qu’à cœur vaillant rien d’impossible.» Les Frères «ont reçu une subvention de 50,000 dollars du Gouvernement de Hong Kong, et le gouverneur a souligné qu’une aide plus substantielle leur serait accordée si les ressources de la trésorerie n’étaient pas aussi restreintes.» Peut-être est-ce, de la part du Consul, une manière déguisée de rappeler à ses supérieurs que le Frère Aimar adresse régulièrement des demandes de subsides qui restent, injustement selon lui, sans réponse0. La seule aide que le gouvernement français octroie au collège Saint-Joseph, ce sont quelques colis de livres, choisis par «la Section littéraire et artistique du Service des œuvres françaises à l’étranger de la Direction des Affaires politiques et commerciales du Ministère des Affaires Etrangères» (sic)…
Dans une dépêche adressée au Ministre des Affaires Etrangères, le consul cite des passages entiers du discours louangeur du gouverneur de Hong Kong au sujet du frère Aimar. «A cet éloge, il m’est agréable de souscrire de tout cœur, et je crois que toute marque d’intérêt que voudrait bien lui donner le Gouvernement de la République serait accueillie avec fierté par ce vaillant et excellent Français.» A plusieurs reprises, le consul général propose le religieux pour les plus hautes distinctions françaises. Le travail du Frère est effectivement considérable : «[Lorsque le bâtiment sera achevé] le Frère Aimar aura en moins de 20 ans doublé une œuvre scolaire, basé sur les grands principes d’ordre et de discipline, où grâce à un exercice méthodiquement dosé des études et des sports est pratiqué l’adage «mens sana in copore sano».»
Aujourd’hui, le collège La Salle existe encore, toujours au même endroit, dans une rue qui s’appelle désormais… La Salle road! La statue de Jean-Baptiste de la Salle, «père de la pédagogie moderne», réplique de celle exposée à Saint-Pierre de Rome, est devant l’entrée principale, non loin de la devise de l’école: «fides et opera» (foi et travail). Par ailleurs, un buste du Frère Aimar est posé dans le hall. Pendant l’Occupation japonaise, le Frère fondateur du collège s’est enfui vers l’Indochine… et y est mort quelques temps après. En 1966, ses restes ont été ramenés à Hong Kong et ensevelis sous son buste dans le collège pour lequel il a tant donné, avec cette épitaphe : «Si monumentum requiris circumspice», c’est-à-dire, «si vous cherchez un monument [en la mémoire de cet homme] regardez autour de vous». Lors de la reconstruction du collège en 1982, ses cendres ont été déplacées au cimetière de Happy Valley, mais le buste est toujours sa place.

FD.

Sources: Archives des Missions Etrangères de Paris ; Archives du ministère des Affaires Etrangères, Nantes ; www.lasalle.edu.hk Crédits photographiques : Archives des Missions Etrangères de Paris pour la photo du jour de l’inauguration ; www.lasalle.edu.hk pour la photo de la pierre inaugurale.

jeudi 4 décembre 2008

Jacques Guillermaz, militaire, diplomate et sinologue

Le général Jacques Guillermaz a consacré sa vie à la Chine, comme militaire, puis diplomate, attaché militaire auprès des représentations françaises, dont celle de Hong Kong, ville qui le fascine, et enfin comme universitaire. Il fut un des meilleurs sinologues français du XXe siècle, spécialiste de la Chine contemporaine, et ses ouvrages ont abreuvé des milliers d’étudiants, de diplomates et de lecteurs intéressés ou passionnés par la Chine.
Fils d’officier, né en 1911, Jacques Guillermaz décide de se consacrer aux métiers des armes et intègre l’Ecole Spéciale Militaire de Saint-Cyr en 1930, après avoir préparé le concours au Prytanée militaire de La Flèche. Diplômé en 1932, le lieutenant Guillermaz est nommé en mai 1937 attaché militaire adjoint à Pékin, à la veille de l’invasion japonaise. Ce hasard des affectations a une influence déterminante sur le reste de sa carrière. En effet, alors que rien ne le prédestinait à un séjour en Extrême-Orient, cette mutation à Pékin sera la première d’une longue liste d’affectations en Chine mais aussi en Asie. Le jeune lieutenant embarque en février 1937 sur le paquebot «Aramis» des Messageries Maritimes et, après des escales à Port-Saïd, Suez, Djibouti, Colombo, Singapour et Saigon, Jacques Guillermaz découvre la Chine à Hong Kong. Son émerveillement ne se tarira jamais: «Au-dessus de son incomparable rade, cette dernière ville, qui m’apparut surtout comme un morceau de l’Empire britannique, étageait ses quartiers d’affaires, ses faubourgs populeux, ses villas coloniales.» Hong Kong est en effet la première étape d’une vie consacrée à la Chine. Jacques Guillermaz apprend la langue des Chinois, essaie d’en découvrir les coutumes et la culture et tente d’en comprendre la mentalité et les mœurs politiques. Sa maîtrise du chinois lui permet, au cours de sa carrière, de lier des relations avec des politiciens, des militaires, des seigneurs de la guerre et des personnages parfois troubles mais aussi avec l’homme de la rue, le marchand, le coiffeur, le tenancier d’échoppe.
De 1937 à 1943, le lieutenant puis capitaine Guillermaz voyage en Chine, dans des conditions souvent précaires, voire dangereuses. Il suit le gouvernement du Guomindang de Tchiang-Kai-chek (JiangJieshi) de Nankin à Chongqing. Il rejoint ensuite la France libre à Alger, participe aux combats de la Libération et débarque sur les plages de Provence. Le commandant Guillermaz reprend ensuite en 1946 son poste d’attaché militaire à Nankin, où s’est réinstallé le gouvernement nationaliste. Il y demeure jusqu’en 1951 et assiste à la victoire communiste de 1949. Parmi les derniers Occidentaux à quitter la Chine communiste, Jacques Guillermaz observe attentivement pendant plus d’an an la transition du pouvoir et les changements imposés à la société, tels que le contrôle sur la population, la réforme agraire ou la loi sur le divorce. Le 22 janvier 1951, le lieutenant-colonel Guillermaz quitte la Chine Populaire et franchit la frontière avec Hong Kong au pont de Lowu. Mais, pendant les six mois qui suivent, Jacques Guillermaz continue à Hong Kong sa mission d’observation de la Chine et des profondes mutations engagées par le nouveau régime.
Il devient ainsi un de ces premiers et fameux «China watchers» qui, pendant des décennies, utilisèrent Hong Kong comme poste d’observation avancé de la «Chine rouge». Du fait du statut du territoire, colonie britannique relevant directement de la couronne, le lieutenant-colonel Guillermaz est nommé «attaché militaire adjoint à Londres, détaché à Hong Kong». Sur fond de guerre froide, en période de guerre de Corée et de guerre d’Indochine, il étudie attentivement à partir de Hong Kong les évènements politiques qui déchirent la Chine et l’Asie. «Par son caractère international, sa situation au flanc de la Chine continentale, ses réfugiés, Hong Kong était naturellement un formidable nœud d’informations politiques et économiques». Les guerres qui sévissent en Asie se répercutent bien sûr à Hong Kong : «A l’époque, la population de Hong Kong ne dépassait guère cinq cent mille personnes. Les industriels chinois repliés de Shanghai, aidés par les capitaux des Chinois d’outre-mer, n’avaient guère lancé que quelques entreprises. Cependant la guerre de Corée gonflait le trafic du port, les bâtiments américains y relâchaient souvent, provoquant un certain «boom» des affaires dans les boutiques et les bars des quais et démontrant, une fois de plus, les surprenantes qualités commerciales des Chinois.»
Jacques Guillermaz, dans sa description du Hong Kong de 1951, garde aussi cet émerveillement dont il témoignait déjà en 1937 : «Vu du pic ou des villas de Peak Road, le panorama de Hong Kong coupait le souffle. Ni le site prodigieux de Chungking, ni la rade de Toulon, ni la baie de Diégo-Suarez que je connaissais déjà, ni la baie d’Along, ni les lacs et les archipels finlandais de Kuopio que je devais connaître plus tard n’égalent la grandeur sereine de ses îles, de ses rocs, de ses promontoires aigus et fauves surgis d’une mer azurée ou céruléenne. Le glissement d’un croiseur gris-bleu rentrant au port au milieu de jonques trapues, aux voiles carrées traversées de nervures, le mouvement des cargos venus de partout, les allées et venues des ferries de la Star Line, abeilles bourdonnantes, les rumeurs montant sans cesse des rues fébriles, tout se fondait dans un seul cadre immense et superbe, mêlant l’immobilité éternelle du décor et le bouillonnement éphémère des hommes». Pour cet amoureux de l’Histoire, «les grands emporiums de l’Antiquité devaient offrir un spectacle analogue et de pareilles émotions».
A Hong Kong, l’attaché militaire, familier de la Chine, côtoie tous ceux qui, par leurs fonctions ou leur expérience, représentent des sources d’informations précieuses: «des Chinois, citoyens britanniques et anoblis par la Reine [portant] fièrement leur titre de «sir»,» «gentlemen chinois», policiers, militaires «de la garnison anglaise, qui se comportait comme en Angleterre», banquiers «avec la même gravité que les Anglais de la City», «agents de compagnies de navigation, hommes d’affaires qui, par toutes sortes de voies obscures, étaient souvent avertis avant tout le monde d’évènements survenus ou à venir», […], «quelques bons journalistes, surtout américains anciens de Chine, qui se retrouvaient au Press Club de Canal Road, [et] se montraient intéressants et actifs». Il travaille aussi très étroitement avec son ami André Travert, «Secrétaire d’Extrème-Orient archiviste», personnage hors du commun, futur consul général de France à Hong Kong, 30 ans plus tard, et sur lequel nous reviendrons.En juin 1951, le lieutenant-colonel Guillermaz quitte Hong Kong en même temps que le consul de France Robert Jobez, à bord du paquebot «Félix Roussel». Il est remplacé par le capitaine Galula, que nous retrouverons également dans notre saga des Français de Hong Kong. Puis le colonel Guillermaz est nommé attaché militaire à Bangkok, de 1952 à 1956. Il commande ensuite un régiment pendant la guerre d’Algérie, de 1956 à 1958.
A l’issue de ce temps de commandement, Jacques Guillermaz quitte le service actif et entame une troisième carrière, après celles de militaire et de diplomate. Il devient en effet universitaire et se consacre à l’histoire contemporaine de cette Chine où il a passé de longues années. Il fonde le «Centre de recherches et de documentation sur la Chine contemporaine», connu des étudiants sous le nom de «Centre Chine». Jacques Guillermaz en est le directeur de 1958 à 1976, en même temps que directeur de recherche à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes et à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales. Mais le général Guillermaz est aussi rappelé au service actif pour devenir en 1964 le premier attaché militaire près l’ambassade de France à Pékin, qui ouvre cette année-là après l’établissement des relations diplomatiques entre la France et la Chine Populaire. La «Chine Populaire» justement, c’est le titre d’un «Que Sais-je?» que Jacques Guillermaz consacre en 1959 à la nouvelle Chine, premier ouvrage d’une série de livres qui constituent une mine d’informations sur la Chine Populaire et le Parti communiste chinois. Dans sa dernière oeuvre, «Une vie pour la Chine : mémoires 1937-1989», Jacques Guillermaz raconte son expérience unique, cette triple vie consacrée à un pays qu’il a aimé et dont il a essayé de transmettre les clés pour le comprendre. Le général Jacques Guillermaz est décédé en 1998.

CR.

Sources : Archives du ministère des Affaires étrangères, Paris ; Jacques Guillermaz, «Une vie pour la Chine, mémoires 1937-1989», deuxième édition, coll. Pluriel, Robert Laffont, 1993. Crédit photographique : EHESS.

lundi 1 décembre 2008

Hong Kong, une « étape asiatique » du Gouverneur Angoulvant

En 1930, Gabriel Angoulvant publie «Etapes asiatiques», un récit de voyage après plusieurs mois passés à arpenter l’Asie deux ans plus tôt. Ce haut fonctionnaire français a dévoué une grande partie de sa vie aux colonies et donc, à voyager dans le monde entier. Il porte bien souvent un regard blasé sur ce qui l’entoure, mais il est impressionné par Hong Kong et le pouvoir qui en émane. Une puissance sérieusement ébranlée par les récents conflits sociaux (1925) sur lesquels l’administrateur colonial ne manque pas de revenir.
Tonkin, Chine, Djibouti, Congo, Guadeloupe, Saint-Pierre-et-Miquelon, Inde, Côte d’Ivoire… la vie de Gabriel Angoulvant, administrateur colonial, n’est qu’une succession de destinations aux quatre coins du monde. En 1920, il prend sa retraite et devient, un peu plus tard, député des Indes françaises… jusqu’à sa déconvenue électorale de 1928. Pour s’occuper, et se consoler, il entreprend alors un périple en Asie. «En trois mois et dix jours, j’ai pu parcourir l’Indochine en automobile, de la frontière de Siam à celle de Chine, monter par le rail jusqu’à Yunnan-Fou, visiter les grandes villes chinoises du littoral, et en plus Nankin et Pékin, pousser de Dalny jusqu’à Kharbine en Mandchourie, et gagner de là Vladivostock, point de départ du Transsibérien, par la Corée et le Japon.» Ce long voyage qui donne lieu, en 1930, à la publication de l’ouvrage «Etapes asiatiques». Hong Kong est l’une de ses étapes.
Dès la première ligne au sujet de la colonie britannique, Angoulvant en dit long sur l’activité dominante de la ville «avec ses seize grandes banques étrangères et ses cinquante banques chinoises». L’administrateur colonial, ancien gouverneur de Côte d’Ivoire puis gouverneur général d’Afrique équatoriale française, promène un œil expert sur ce que les Anglais ont fait de «Hong Kong, autrefois îlot désert et dénudé, aujourd’hui verdoyant, peuplé et plein d’une vie intense». Au cours de sa longue carrière, et surtout avant l’entente cordiale de 1905, le fonctionnaire français a été amené à rudoyer la perfide Albion, mais il reconnaît qu’il a sous les yeux «l’une des plus belles façades que l’Angleterre ait su se donner dans le monde, l’une des œuvres les plus impressionnantes que le labeur des hommes ait fait jaillir du néant».
Et le voyageur d’être sous le charme. «Quand le soir tombe, le spectacle est réellement féerique; de la rade, on voit sur la rive les voies de la ville brillamment éclairées avec, de place en place, dans les quartiers de plaisir où la vie nocturne bat son plein, comme un véritable embrasement : jusqu’au sommet du pic, les lumières des villas blotties dans la verdure s’allument, piquant de petites étoiles la nuit qui vient, tandis que les phares des autos montant ou descendant les routes en lacets semblent des serpentins animés.» Gabriel Angoulvant est tout simplement admiratif, lui qui s’est essayé de nombreuses fois à la gestion des territoires colonisés. «C’est, en même temps qu’une véritable fête pour les yeux, l’évocation lumineuse d’une puissance attestée par les immenses travaux qui ont transformé un roc stérile en une cité moderne et prospère, où la beauté s’allie harmonieusement à la force.»
Gabriel Angoulvant n’oublie pas l’envers de ce magnifique décor. En 1925, une grève généralisée «à l’instigation des bolchevistes russes de Canton» a paralysé l’économie de Hong Kong. «Le port s’est vidé de ses navires, qui ne pouvaient plus ni charger ni décharger […] les services publics - eau, électricité, transports en communs – ont cessé de fonctionner,» raconte l’ancien haut fonctionnaire, en renvoyant à la lecture des Conquérants d’André Malraux, qui revient longuement sur ces événements. Ces grèves parfaitement organisées et menées avec discipline ont fortement ébranlé la colonie britannique. «Hong Kong n’est pas encore remis de ses pertes, n’a pas reconquis jusqu’ici sa prospérité d’antan ; la valeur des immeubles a baissé de près d’un tiers.»
«Malgré la médiocrité des temps nouveaux, la vie mondaine est toujours fort animée,» reprend-t-il plus positivement. Angoulvant décrit une ville dynamique qu’il compare avec lucidité aux possessions françaises, trop endormies selon lui. «Au lieu de se tenir à l’écart, figée dans son splendide isolement comme en Indochine, la colonie chinoise se mêle au mouvement moderne.» Il rédige au passage le portrait d’un jeunesse autochtone aisée qui s’occidentalise.
Avant de partir, Gabriel Angoulvant s’autorise encore quelques balades. Il découvre le pic par le funiculaire en notant que «démocratiquement, son Excellence le gouverneur y prend place quatre fois par jour.» Puis il visite «Kow-Loon [où] une cité importante s’est bâtie qui abrite les employés de Hong Kong fuyant les loyers trop élevés de la grande ville.» Il rend enfin visite aux Missions étrangères «qui trouvent chez le gouvernement anglais un aide budgétaire dont l’importance fait contraste avec la modestie de nos subventions.» Une fois encore, avec lucidité sur les choix de son propre pays et impartialité au regard de sa couleur politique (de gauche radicale et anticléricale), l’ancien gouverneur reconnaît que les missions «ont beaucoup contribué à l’essor de Hong Kong.»

FD.

Sources : Gabriel Angoulvant, Etapes asiatiques, Les éditions du monde moderne, 1930 ; http://fr.wikipedia.org/wiki/Gabriel_Louis_Angoulvant
Crédits photographiques : http://www.parti-ecologique-ivoirien.org pour la photo du lieutenant gouverneur Angoulvant lors de son passage en Côte d’Ivoire.
Remerciements à M. Yves Azémar et son inépuisable librairie d'ouvrages anciens sur l'Asie, 89 Hollywood road - Hong Kong.