lundi 1 septembre 2008

Un atterrissage à Kai Tak

Il y a dix ans, Chek Lap Kok, le nouvel aéroport de Hong Kong, immense, moderne et fonctionnel, entrait en service. Il remplaça alors un des aéroports les plus mythiques au monde, celui de Kai Tak, connu pour le spectacle époustouflant des avions en approche qui survolaient les immeubles de Kowloon, à quelques mètres seulement au-dessus des toits. Un pilote d’Air France raconte…
L’aéroport de Kai Tak était situé au sud de Kowloon et la piste, gagnée sur la mer, était orientée nord-ouest/sud-est. L’atterrissage s’effectuait après avoir fait virer l’appareil à 45° vers la droite, alors que ce dernier n’était qu’à 240 m d’altitude. Les avions en approche, venant du nord-ouest, devaient au cours de leur descente voler au ras des immeubles de Kowloon, à en frôler les toits. De nombreux passagers ayant vécu ces atterrissages à Kai Tak se souviennent avoir vu, de leur hublot, des gens regarder la télévision dans leur salon!
La difficulté de l’atterrissage à Kai Tak exigeait une qualification spéciale et impliquait pour les pilotes d’Air France un entraînement spécifique sur le simulateur de la compagnie. Jacques Darolles, copilote sur Boeing 747-cargo, raconte son expérience d’un atterrissage à Kai Tak. Le lecteur est dans le cockpit d’un Jumbo Jet de plus de 300 tonnes:

«Air France six four two two, Kai Tak approach, clear to IGS approach runway 13, report leaving 3500 ft». Voilà, nous y sommes. Le contrôle nous autorise à l’approche, et une joie de gamin envahit le jeune pilote que je suis encore, l’atterrissage à Kai Tak étant un moment qu’il faut avoir vécu dans une carrière. Mille fois lue, imaginée, écoutée, l’arrivée face à la colline et au milieu des immeubles est de celles qui donnent au métier ce côté exceptionnel.
On part en virage à droite, dans la nuit et la pluie, pour intercepter l'IGS. Ce n'est donc pas un ILS, mais un IGS : les faisceaux radio ne mènent pas sur la piste, mais sur une colline, où un immense damier est peint et éclairé. Vers 700 pieds, il faut quitter l'axe (sinon on rentre dans la colline !) et virer d'environ 50 degrés à droite, l'aile au ras des immeubles, pour finir sur la piste, pendant que le vent tourne un peu dans tous les sens, à cause des obstacles au sol. C'est surréaliste, on perce dans une colline qu'on ne voit pas. Pour être autorisé à utiliser Hong Kong-Kai Tak, il faut au préalable avoir fait des approches sur cette piste au simulateur. Mais au simulateur, il manquait la pluie contre le pare-brise, la turbulence, la radio qui n'arrête pas, et le petit pincement de se dire qu'on y est pour de bon, et qu'on va se mesurer grandeur nature à la légende. «Train sur sorti». […] Check-list avant atterrissage. Malgré l’intensité du moment, rester concentré et rigoureux. Je repense aux moniteurs d’aéro-club qui jadis , m’ont mis le pied à l’étrier, sur les petits terrains de Haute Garonne. Merde, s’ils me voyaient! Ici, c’est le sommet du métier. On se pose à Kai Tak, rien que ça… On commence dessous à voir un tas de lumières dont on ne sait si elles sont des bateaux ou des habitations dispersées sur la multitude d'îles du secteur.
1000 pieds. On jette quelques coups d'oeil devant. «Je vois le damier», annonce sereinement notre Captain, «on continue comme ça».
800 pieds. Voilà le lièvre, c'est à dire la traînée de feux à éclats qui, en virage, mène au seuil de piste, sur le toit des immeubles, où les comités de riverains ne doivent pas trop la ramener. Il faut y croire car, pour l’instant, le terrain est invisible.
700 pieds. «The» virage. Pilote Automatique débrayé, nez dehors, coup d'oeil au badin, c'est comme à la fin d'un encadrement en DR400, le vent qui était arrière tourne plein travers, volets 25, puis 30. Bigre, que cette piste est donc petite! Là, bien aligné dans les 300 derniers pieds, petite dérive, badin stable, on va l'avoir!
200 pieds. Les parkings aussi sont mesurés, et l’autre 747 qui attend pour décoller n'a pas dû rouler beaucoup.
100 pieds. On débouche dans la lumière, les lampes doivent être au maxi.
40 pieds. Plein réduit. Arrondi tranquille. «Boudoum boudoum!». Reverses. «Les quatre passés». «130 nœuds ». Et ça freine ! Spectaculaire, mais moins difficile qu'un tour de Paris avec un avion léger. Ben voilà, reste plus qu'à dégager. «Kai Tak ground. Ni hâo (bonjour en chinois). Air France Six Four Two Two is vacating...».
L’avion s’est posé et rejoint son emplacement au terminal. Les pilotes, mais aussi les passagers, en particulier ceux assis près d’un hublot, viennent de vivre une expérience inoubliable…

CR.
Témoignage : Jacques Darolles. Photos : Air France.

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