jeudi 11 septembre 2008

Le récit d’une Parisienne à Hong Kong en 1875

Laure Durand-Fardel accompagne son mari lors d’une expédition médicale en Chine. De passage à Hong Kong, elle flâne de mondanités en visites, laisse un témoignage enthousiaste et rédige notamment le récit d’une soirée mouvementée au théâtre chinois.
Jusqu’en 1875, Maxime Durand-Fardel est inspecteur des eaux de Vichy. Une vie de travail consacrée à la santé, dans un confort qui manque de piment au goût du médecin… A 60 ans, il décide avec sa femme, Laure, de partir en Chine pour un voyage d’étude. Il assure le récit de la partie médicale, elle s’occupe de l’observation des sociétés et de la géographie. Tout comme son mari scientifique, Madame est directe, son écriture est franche et son regard pertinent. «De Marseille à Shanghai et Yedo» est un succès retentissant à sa sortie en 1881.
Comme pour mettre en avant sa modernité, elle précise en sous-titre de son ouvrage : «récits d’une Parisienne»; mais loin d’être exclusivement mondain, le récit est parfois d’une touchante sincérité. Ainsi, à peine arrivée en mer de Chine, Laure Durand-Fardel s’extasie à chaque page et confesse : «Vous me trouvez peut-être un peu enthousiaste. Mais j’avais si peu vu jusqu’à ce jour. Tout me surprend ; tout est nouveau ; à chaque site, à chaque horizon, je me récrie : Je n’ai jamais rien vu d’aussi beau!».
La Française doit pourtant mériter son arrivée à Hong Kong. Le navire sur lequel elle embarque à Saigon est pris dans les tourments d’un typhon qui chahute les eaux pendant cinq longues et éprouvantes journées… Après le brouillard, un grand soleil ; après le froid, une chaleur de plomb : Hong Kong apparaît enfin, sous «l’aspect le plus riant et le plus gracieux». L’harmonie est ce qui qualifie le mieux le paysage de l’île au regard de la Parisienne. «Les montagnes qui entourent la rade sont juste assez élevées pour faire un fond de tableau imposant sans être abrupt, et le penchant du pic semble avoir été créé et disposé pour abriter le joli nid qui est venu y prendre place».
La communauté française réserve un bel accueil aux époux et ces derniers s’installent à l’hôtel Univers. Laure Durand-Fardel se rassure en constatant que le maître d’hôtel est Français, «ou du moins il est Suisse, ce qui, à la distance où nous sommes, paraît la même chose». C’est un trait remarquable chez presque tous les voyageurs ou expatriés de l’époque; on gomme avec aisance les différences entre nations européennes à mesure qu’on s’éloigne du sol natal. Ainsi et par exemple, de belles amitiés franco-britanniques ou des associations commerciales franco-allemandes voient parfois le jour sous les tropiques… en des temps où les métropoles sont nettement plus crispées.
«Les riches commerçants Anglais ont ici la vie la plus belle et la plus large qu’on puisse désirer. Il y a de la société et on s’y amuse beaucoup». Les rues impressionnent Laure Durand-Fardel «même dans la partie la plus chinoise. […] Il y a de beaux jardins publics très bien tenus et très pittoresques ; la garnison anglaise y fait de la musique plusieurs fois par semaine. Les belles dames y viennent s’y promener et étaler leurs toilettes». Notre touriste se rend à l’hippodrome de Happy Valley dont elle compare le confort à ceux d’Auteuil ou de Longchamp. Elle s’amuse de voir son mari résister «aux nuées de coolis qui le sollicitent pour monter dans la chaise qui est sur leurs épaules». Monsieur tient à arpenter les rues à pied, mais change d’avis le lendemain lorsqu’il s’agit de monter au Pic. Cette journée se poursuit également par une visite chez les Pères missionnaires au Sanatorium de Béthanie. Enfin, la séance shopping est un incontournable… mais « j’y trouve tout à peu près aussi cher qu’à Paris ; j’en suis stupéfaite». Les malles se remplissent quand même «de choses splendides qui, à Paris, seront rares et peut-être même uniques».
Et l’auteur d’enchaîner avec quelques mondanités ; tout particulièrement une fameuse soirée à bord du navire de l’amiral Krantz. Celui-ci raconte ses innombrables voyages et «ses relations avec les souverains et les peuplades de tout ces parages» avec en fond «cet admirable panorama d’Hong Kong, dominé par le pic qui lui dispense ça et là ses obscurités fantastiques. C’était à faire rêver». L’officier émerveille la Parisienne mais elle se trouve refroidie par le récit de l’attaque du navire américain Spark, trois mois auparavant, par d’insaisissables pirates Chinois non loin de Hong Kong… où elle doit se rendre dans quelques jours.
Longuement, elle s’étend sur une soirée passée au théâtre Chinois. Après une description précise des lieux, elle ne cache pas son incompréhension. Comme beaucoup de voyageurs de son époque, son récit est animé d’une saine curiosité; mais la barrière culturelle semble infranchissable. «Le spectacle commence tous les jours vers onze du matin et se termine entre minuit et une heure. Pendant ce temps, la salle ne désemplit pas […]. C’est un va-et-vient continuel. Les femmes y apportent leurs pipes, et quelques-unes ont avec elles une servante chargée de la leur tenir toujours prête. Les acteurs sont tous des hommes; ceux qui sont chargés des rôles de femmes sont généralement assez jolis et ne laissent rien à désirer dans la manière dont ils remplissent leur emploi. Quant aux pièces, le plus malin d’entre nous n’y pourrait rien comprendre; elles n’ont commencement ni fin et pourraient durer toujours. Les costumes sont beaux; les figures sont littéralement enduites de peinture. Pour nous, cela ressemble beaucoup à une parade de foire, parce qu’il y a beaucoup de cris, de gestes, de culbutes, avec une musique enragée, c’est le mot! Aucun air ne peut y être noté; ce tapage accompagne leurs chants aussi bien que leurs déclamations. On sort de là très étourdi, ou plutôt abasourdi; mais on est pas fâché d’y être allé une fois. Max [son mari] est allé dans les coulisses et sur la scène, pour voir de près; j’aurais bien voulu l’y suivre, mais ce n’eut pas été bien vu de la société de Hong Kong».
Laure Durand-Fardel rêve d’une Chine «enveloppée dans les brumes épaisses où l’avait trouvé Marco Polo»; elle s’étonne avec un peu d’amertume de trouver un pays où «tout change, et se détruit, et se refait d’un jour à l’autre, et l’on ne peut prévoir ce qu’il en restera demain». Hong Kong est à ce titre une étape emblématique.
FD.

Sources : Laure Durand-Fardel, De Marseille à Shanghai et Yedo, 1881. Numa Broc, Dictionnaire illustré des explorateurs français du XIXe siècle, 1992.
Remerciements à M. Yves Azémar et son inépuisable librairie d'ouvrages anciens sur l'Asie, 89 Hollywood road - Hong Kong.

2 commentaires:

Kincan a dit…

Où trouver cette narration?
Merci !!

Administrateur a dit…

Bonjour,

A ma connaissance, l'ouvrage n'a pas été réédité, il faut donc le chercher chez des libraires spécialistes des ouvrages anciens... Pour ma part, je l'ai trouvé chez M. Azémar, M. Yves Azémar, 89 Hollywood road à Hong Kong. Il existe d'autres adresses de ce genre, à Paris ou à Bangkok notamment.
Cordialement,
FD.