lundi 29 septembre 2008

Auguste Borget, premier peintre français à Hong Kong

Auguste Borget est un des premiers Français à avoir visité Hong Kong, en 1838, et sans doute le premier peintre français à nous avoir laissé des paysages de l’île et de la région du delta de la Rivière des Perles. Certains de ses tableaux sont exposés au Musée d’Histoire de Hong Kong, témoignages précieux et de première main sur Hong Kong pendant la première moitié du XIXe siècle.
Né il y a deux cents ans à Issoudun, Auguste Borget (1808-1877), artiste-peintre, est élève de Théodore Gudin, dont il suit les cours au sein de son atelier de peintures de Paris. Gudin est également peintre officiel de la Marine, fonction qui lui permet de naviguer sur les bâtiments de la Marine militaire. Ce point a sans doute influé sur la carrière d’Auguste Borget, qui va effectuer de nombreux voyages, dont un tour du monde de quatre ans. Il passe ainsi plusieurs mois à bord de bateaux, alors que rien ne le prédestine à la navigation et aux périples lointains. Issu d’une famille bourgeoise de province, Auguste Bourget n’est en effet ni marin, ni explorateur ou aventurier. Mais il est un des «peintres-voyageurs» français du XIXe siècle, héritier des peintres qui accompagnaient les expéditions maritimes du XVIIIe siècle.
Après l’étude du dessin et de la peinture auprès de Théodore Gudin, comme de nombreux artistes, Auguste Borget complète sa formation en se rendant en Italie du Nord, en quête de paysages variés d’eau, de montagnes et de lumières. Il expose au Salon à Paris dès 1836 et, la même année, il part pour les Amériques.
Le peintre Borget entreprend un tour du monde qui va durer quatre ans et qui l’amène en 1838 en Chine du Sud et dans la région du delta de la Rivière des Perles. Son séjour à Hong Kong lui permet de dessiner et de peindre de nombreux paysages qui nous fournissent des informations précieuses et de première main sur la région, dans la première moitié du XIXe siècle.
Ainsi, trois ans avant l’annexion de l’île de Hong Kong par les Britanniques, Auguste Borget peint en 1838 la «Baie de Kowloon», la «Baie de Hong Kong», «Chin Joss House près de Hong Kong», un «Village près de la baie de Hong Kong», un «Village entre la baie de Hong Kong et de Kowloon», «Won Chon Chow dans la baie de Hong Kong», la «Baie des Pirates, dessinée de Won Chon Chow», l’«Ile de Hong Kong», ou encore les «Environs de Kowloon».
Mais les sujets qu’abordent Borget au cours de son voyage en Chine ne se limitent pas aux paysages et aux «marines». Le peintre-voyageur, témoin de son temps, aborde aussi des sujets plus sociaux, qui constituent une riche source d’informations sur la Chine de l’époque. Ainsi, outre des métiers de rue, comme un «Diseur de bonne aventure» (Canton, 1838), un «Chiffonnier chinois» (Macao, 1839) ou un «marchand de fruits» (Macao,1839), Borget peint aussi des embarcations, comme des «Jonques de commerce» (1838) ou des «Bateaux de pêcheurs, côte sud de Hong Kong» (1838), et des édifices comme «Habitations de pêcheurs» (Macao, 1838), «Maison européenne» (Macao, 1838) ou «Petite douane à l’Est des factoreries de Canton» (1838). Mentionnons aussi une huile sur toile, «Funérailles chinoises à Hong Kong», peinte en 1838.
De son périple en Chine, Auguste Borget tire aussi des croquis et dessins qui illustrent l’ouvrage d’Honoré de Balzac «La Chine et les Chinois», récit de voyage imaginaire paru en 1842 sous forme de quatre articles. Dans cette œuvre, Balzac décrit une exploration qui l’aurait conduit en Chine et en particulier à… Hong Kong, Macao et Canton! Auguste Borget est en effet un ami proche de l’auteur de «La Comédie Humaine», qui fait précéder les articles de son récit de la mention, concernant les illustrations : «Par Monsieur Auguste Borget, dessins exécutés d'après nature, lithographies à deux teintes par E. Ciceri, accompagnés de fragments de voyage. In-folio. A paraître chez Goupil et Viber».
En 1842, Auguste Borget publie en effet trente croquis de voyages dans un volume dédié au roi Louis-Philippe. Paraît également en 1845 «La Chine ouverte. Fragments d’un voyage autour du monde», ouvrage consacré à son périple en Chine et qui constitue une description détaillée de la Chine du XIXe siècle. Ses carnets de voyage sont également publiés dans des revues et des livres de l’époque.
Outre des dessins à la mine de plomb, au fusain, au pastel, ou à l'encre de Chine, Auguste Borget a également laissé des travaux peints tels que des peintures à l’huile, des gouaches ou des aquarelles. De nombreux tableaux d’Auguste Borget ont été reproduits sous forme de lithographies par E. Ciceri. Le musée des Arts de Hong Kong expose plusieurs de ses œuvres, dont «L’aqueduc en bambous» (Hong Kong, 1838).
CR.

Sources : Musée d’Issoudun. Crédits photographiques : Hong Kong Museum of Art.

jeudi 25 septembre 2008

Monseigneur Forcade, sacré évêque à Hong Kong

Théodore-Auguste Forcade est membre de la société des Missions Etrangères ; sa carrière religieuse est riche et mouvementée. Envoyé au Japon, il se sert de Hong Kong comme base arrière face à l’hostilité des autorités de l’archipel nippon. Le 21 février 1847, il est sacré évêque de Samos... dans la colonie britannique.
Le parcours de Forcade est celui d’un nomade. Né à Versailles en 1816, il est professeur au séminaire en 1838 et ordonné prêtre l’année suivante. Mantes, Sucy, Paris sont les premières destinations hexagonales du jeune religieux qui aspire à d’autres horizons. Il entre aux Missions Etrangères en 1842 et part immédiatement pour l’Extrême-Orient sans destination précise. Il est un temps à Macao, puis sur les îles Riu-kiu au large du Japon, avant de tenter une entrée sur l’archipel nippon. C’est un échec : surveillé par les autorités, il n’a aucun contact avec la population.
Hong Kong devient donc la base arrière de ses opérations. En 1846, Théodore-Auguste Forcade est nommé vicaire apostolique du Japon et évêque de Samos, cette dernière charge étant purement honorifique. La cérémonie a lieu à Hong Kong le 21 février 1847. Le Père Libois, présent à la cérémonie, prédit : «Voilà Mgr Forcade sacré mais que d’obstacles lui restent à vaincre pour qu’il puisse travailler au salut de son troupeau». Prudent et surtout échaudé par sa première expérience nippone, le nouveau prélat préfère attendre à Hong Kong que «les canons anglais et américains aient ouverts le Japon».
Intenable, il repart et sillonne l’Indochine, revient en France, passe à Londres et séjourne à Rome où il récupère une nouvelle charge : pro-préfet apostolique de Hong Kong. Ce cumulard s’intéresse à cette nouvelle fonction plus qu’à toute autre. C’est là qu’il est remarqué par son zèle. Il facilite, entre autres, l’arrivée des sœurs de Saint-Paul de Chartres dans la colonie anglaise, et par conséquent l’établissement du premier orphelinat de la Sainte-Enfance. Sa sœur, Calixte Forcade, dans les ordres sous le nom d’Alphonsine est par ailleurs la Supérieure de cette maison.
Son œuvre au Japon est nettement plus laborieuse et lui attire beaucoup d’ennuis. En 1851, il négocie avec les Jésuites et leur cède l’évangélisation du Japon. Un accord qui outrepasse ses attributions et le contraint à la démission de son vicariat, mais aussi des Missions Etrangères.
Il continue toutefois une brillante carrière, de la Guadeloupe à Nevers, et termine archevêque d’Aix. Il s’éteint en 1885, du choléra contracté auprès de ses malades.

FD.

Sources et crédits photographiques : Archives des Missions Etrangères de Paris ; Francisque Marnas, La religion de Jésus ressuscitée au Japon, 1897.

lundi 22 septembre 2008

Les petites embrouilles de Rolande Sarrault

Dans l’entre-deux guerres, Rolande Sarrault tient une boutique de vêtements. Elle vend des articles de mode et de la mercerie… Un petit commerce anodin qui n’aurait jamais suscité d’intérêt particulier s’il ne révélait pas, aujourd’hui, un aspect très discret de la présence française à Hong Kong : la vie des membres les plus modestes de la communauté, loin des diplomates et des grands entrepreneurs.
Venue à Hong Kong avec son mari au tout début des années 1920, Rolande Sarrault établit une mercerie française qui devient rapidement une boutique de prêt-à-porter. Elle divorce et son mari repart vers d’autres horizons ; Rolande Sarrault décide de rester. A priori très bien intégrée dans la colonie britannique, elle obtient même la naturalisation en prêtant serment d’allégeance à la couronne le 15 juillet 1938.C’est le sujet d’un premier échange de courrier avec le Consulat de France. Le diplomate du quai d’Orsay réclame, en conséquence de ce changement de nationalité, le retour du passeport français. Elle refuse. Rolande Sarrault affirme qu’elle a fait ce choix «en vue d’obtenir une protection qui m’était sévèrement nécessaire dans cette colonie» et ajoute en des termes plus sybillins, «et aussi pour les besoins d’une cause que je croyais nécessaire également» ; mais elle n’entend pas abandonner totalement ses prérogatives de françaises arguant du fait qu’il faut une «permission spéciale» pour tout Français «voulant s’éloigner de sa nationalité. Ceci, je ne l’ai pas fait». Le Consul paraît intrigué par cette loi sortie du chapeau de la couturière et trace un gros point d’interrogation dans la marge. L’affaire s’arrête là.
Rolande Sarrault n’aurait pas occupé davantage de place dans les archives du Consulat si elle n’avait pas été mêlée à une autre histoire un peu plus alambiquée. En avril 1939, elle prétend être l’héritière de Lady Chater… une célébrité de l’époque au sujet de laquelle les légendes sont nombreuses ! Suédoise d’origine, elle serait venue à Hong Kong pour se marier à un homme de bonne famille, mais à son arrivée sur l’île, le futur époux aurait disparu. Elle est très probablement devenue pensionnaire d’une maison close d’Hollywood road, avant d’être repérée par l’influent et riche Sir Catchick Paul Chater, accessoirement membre du gouvernement. Une romance fort mal vue dans la bonne société anglaise... Même après leur mariage en 1910, leur idylle ne cesse de défrayer la chronique hongkongaise. Lady Chater meurt en 1935, moins de dix ans après son mari. Ses dispositions testamentaires sont multiples mais il semble que, pour une large part de l’héritage, elle ait laissé toute liberté à l’administrateur testamentaire (Trustees Deacons).
D’un étrange manière, Rolande Sarrault pense avoir sa part. On peut supposer, à la lecture des archives, que toute l’histoire lui est soufflée par une seule personne. Le trublion de cette affaire s’appelle Francis Vetch. Nous aurons l’occasion de revenir sur ce poil à gratter de la communauté française, dont l’image est bien loin de celle des bâtisseurs d’empire coloniaux, des grands entrepreneurs des tropiques. Francis Vetch s’est perdu à Hong Kong au gré de sa vie tourmentée et ne peut tout simplement pas repartir, faute d’argent. Il a en revanche de l’éducation et une plume facile et colorée, qu’il met cette fois au service de Rolande Sarrault.
Dès le 28 avril 1939, il harangue le Consul de France dans une lettre truffée d’allégations douteuses, et somme le diplomate de faire verser par les Trustees Deacons les deux millions de dollars qui sont dus à Rolande Sarrault. Une enquête est diligentée ; les premiers doutes apparaissent avec les problèmes d’identité de Rolande Sarrault. Elle s’appelle en fait Rose Roinel. Changer de nom est chose facile à l’époque, surtout lorsque l’on part à l’autre bout du monde. Mais pourquoi ? Mystère.
Quoiqu’il en soit, la mercière entre dans la combinaison de Francis Vetch et harcèle le Consul. Celui-ci se plaint de ses fréquentes visites et supplie le Secrétaire colonial de régler cette affaire. Le directeur de la banque d’Indochine, où un compte est censé attendre l’héritage, qualifie cette histoire de «fantasmagorique». Un avocat d’Indochine, nommé Garnier, prétend avoir la preuve du bon droit de Rolande Sarrault, mais ne la montre jamais, tandis qu’une certaine Madame de Courseulle se flatte qu’une part de l’héritage doit également lui revenir. Pendant quelques mois, «la succession Chater» est un feuilleton de prétentions rocambolesques.
Les courriers fumants et fumeux de Francis Vetch se multiplient. Tantôt il recommande de régler l’affaire à l’amiable, entre Français, tantôt il se dit prêt à saisir les plus hautes autorités britanniques. Il adresse de formelles protestations aux notaires et les accuse de détournement. Il invective le Secrétaire colonial en personne et se plaint que Madame Sarrault soit considérée «comme une femme du commun, sans défense, facile à dépouiller de son bien». Et de partir dans une diatribe illuminée : « Tout au contraire, Madame Sarrault appartient à une famille très honorable de Bretagne avec cette particularité qu’elle est la nièce du Cardinal Saint-Marc, archevêque de Rennes, une notabilité dans l’épiscopat de France, fondateur de ces Petites sœurs des pauvres que vous voyez quêter dans les rues de Hong Kong. En ce qui me concerne, je suis le neveu de Joseph de Villèle, ministre de Louis XVIII et de Charles X. C’est vous dire que ni Madame Sarrault ni moi nous ne courrons après des héritages et que nous nous tenons à l’écart des hommes d’affaires véreux». L’aplomb est à couper le souffle et confine à l’ironie.
Les dernières salves épistolaires ont lieu pendant l’été 1939. Les traces de Rolande Sarrault et de son prétendu héritage se perdent dans les affres de la guerre. Son nom n’apparaît plus à la libération de Hong Kong.

FD.

Sources : Archives du Ministère des Affaires Etrangères, Nantes ; http://www.chater-genealogy.com/. Crédits photographiques : Hong Kong records office ; Archives du Ministère des Affaires Etrangères, Nantes.

jeudi 18 septembre 2008

Le 18 septembre 1906, le contre-torpilleur «La Fronde» coule à Hong Kong

Le 18 septembre 1906, un violent typhon frappe Hong Kong et provoque plus de dix mille morts. Le contre-torpilleur «La Fronde», en escale avec d’autres bâtiments français du même type, sombre à Kowloon et cinq de ses membres d’équipage sont portés disparus. Plus de quarante ans plus tard, le commandant d’un des navires français livre un témoignage de première main sur cette catastrophe naturelle qui a marqué les esprits à Hong Kong pendant des décennies.
Au début du XXe siècle, le port de Hong Kong connaît déjà un trafic intense. 41% du commerce avec la Chine passent alors par le port de Victoria et des centaines de paquebots, de voiliers, de navires marchands à vapeur, de bâtiments de guerre et de jonques mouillent chaque jour dans le port. A l’époque aussi, plusieurs dizaines de milliers de Chinois vivent et travaillent sur plus de 10000 sampans et embarcations de pêche qui s’agglutinent tout au long des côtes de l’île de Hong Kong et de Kowloon.
Le 15 septembre 1906, une flottille de cinq contre-torpilleurs français, appartenant à la Division Navale d’Extrême-Orient et en provenance de Shanghai, arrive à Hong Kong après avoir affronté une queue de typhon le 13 septembre: «Javeline», chef de flottille, «Francisque», «Fronde», «Rapière» et «Sabre». Du fait de l’encombrement du port, seule la «Javeline» s’est amarrée à quai sur l’île de Hong Kong et les quatre autres contre-torpilleurs mouillent dans la baie de Kowloon, à deux ou trois cents mètres du quai. Le commandant du «Sabre», le lieutenant de vaisseau Hallier, raconte au début des années cinquante, alors qu’il est amiral à la retraite, l’expérience unique qu’il a vécue à Hong Kong ce jour-là.
«Le 18 septembre au matin, je monte sur le pont du «Sabre» vers 7 heures et demie et je suis tout de suite frappé par l’aspect et la teinte insolite du ciel, par la nature et la couleur des nuages montant de l’horizon, signes caractéristiques précurseurs d’un typhon». Le lieutenant de vaisseau note que «le service du port n’a pas donné l’avis habituel concernant l’approche d’un typhon» et ce point, l’absence d’avertissement par le Royal Observatory de Hong Kong, chargé des prévisions météorologiques, va faire l’objet de vives polémiques dans les mois qui suivent le drame qui s’annonce. Le commandant du «Sabre» décide de faire lancer ses machines au plus vite afin de permettre au navire de ne pas subir la violence des vagues et, malgré le manque de pression de la vapeur, les mécaniciens réussissent à démarrer les moteurs. Tous les navires en rade de Hong Kong n’ont cependant pas eu ce réflexe ou ont manqué de temps et, en quelques dizaines de minutes, le port devient un véritable enchevêtrement de bateaux en perdition: «Des épaves de tous genres sillonnaient la rade et menaçaient à chaque instant de nous heurter. C’étaient des paquebots ou des cargos ayant rompu leurs chaînes et allant à la dérive, ballottés par la mer démontée, des grandes jonques plus ou moins endommagées, des sampans, des embarcations, des débris variés provenant des constructions sur les quais ou des appontements». Pendant trois heures, le commandant et son équipage luttent pour éloigner le «Sabre» de la zone où la force du typhon est la plus violente et la plus dangereuse, trois heures pendant lesquelles le contre-torpilleur rencontre «des épaves et des débris de toutes sortes et aussi, malheureusement, des êtres humains, arrachés aux jonques et aux sampans brisés, qui luttent désespérément, agrippés à un débris quelconque, à qui nous ne pouvons être maintenant d’aucun secours et qui, fatalement, seront la proie de la mer en fureur. Combien d’autres que nous ne voyons pas sont déjà engloutis!».
Vers midi, la violence du vent diminue et le temps commence à s’éclaircir. Le lieutenant de vaisseau Hallier peut mesurer l’étendue du désastre: «Partout des navires échoués, abîmés, les coques défoncées, des mâts, des débris de toutes sortes et aussi, hélas, partout des naufragés et des noyés». Des naufragés chinois accrochés en grappe à un espar (bout de mât) arrivent en vue du navire et le commandant fait jeter vers eux une «des rares amarres qui (nous) restent sur le pont. L’un des Chinois saisit la corde; mais au moment où l’on fait effort pour les attirer vers nous, un violent coup de mer casse net l’amarre et submerge l’espar avec ceux qu’il porte. Ils disparaissent sous nos yeux, rejetés loin de nous par les lames, et nous devons les abandonner». L’équipage réussit cependant à sauver un homme des flots déchaînés. Plus de quarante ans après le drame, le commandant du «Sabre» évoque les «navires brisés sur les quais, […] ceux soulevés de leur appontement pour être transportés à un autre» et les «innombrables jonques et sampans mis en pièce». Parmi ces épaves se trouve le contre-torpilleur «La Fronde», entré en collision avec un gros navire et qui sombre aussitôt. Mais l’amiral Hallier se souvient surtout du terrible coût humain du typhon du 18 septembre, qui provoque plus de dix mille morts: «Pendant plusieurs jours on vit flotter sur la rade des cadavres qui étaient recueillis aussitôt aperçus, mais combien disparurent sous les eaux sans qu’on en eût connaissance!». Il note aussi que «peu d’Européens périrent, mais parmi eux, hélas! les marins de la «Fronde» dont les corps ne purent être retrouvés». En 1908, un monument est érigé à Kowloon en mémoire des cinq marins disparus.
Quelques jours après le typhon, un capitaine de vaisseau anglais confie au lieutenant de vaisseau Hallier qu’«on n’est pas un marin tout à fait complet si on n’a pas connu cela, mais, croyez-moi, il vaut mieux ne pas le connaître une seconde fois». Le jeune officier français acquiesce et, quatre décennies plus tard, l’amiral expérimenté, ayant commandé plusieurs fois à la mer, reconnaît avoir été servi «par une très grande chance» mais aussi par un très bon équipage, «ensemble parfait, dans un sentiment unanime d’estime et de sympathie réciproques, et de confiance absolue les uns dans les autres».

CR.
Sources : «La Revue Maritime», septembre 1951; Archives du South China Morning Post. Crédit photographique : HKMM; Supplément illustré du Petit Journal, 1906.

lundi 15 septembre 2008

La «Jeanne d’Arc» à Hong Kong

Parmi les navires de la Marine Nationale qui, depuis plus de 160 ans font escale à Hong Kong, un navire occupe une place particulière dans le cœur des Français : la «Jeanne d’Arc», navire-école des officiers-élèves de l’Ecole Navale. Depuis 1933, deux bâtiments ayant porté ce nom ont mouillé à plusieurs reprises à Hong Kong et ces escales ont laissé des souvenirs très forts chez les marins.
Depuis 1912, il est de tradition dans la Marine Nationale de baptiser du nom de «Jeanne d’Arc» le navire-école servant d’école d’application aux officiers-élèves de l’Ecole Navale. La campagne d’application consiste en une navigation de plusieurs mois, ponctuée de plusieurs dizaines d’escales et chacune constitue un événement fort, tant pour l’équipage du navire que pour la population et la communauté française du port visité. Le navire est en effet un véritable ambassadeur de la Marine Nationale mais aussi de la France. «La Jeanne», comme est surnommée affectueusement le navire dans la Marine, a fait escale à Hong Kong à plusieurs reprises, de 1933 à 1992.
La première «Jeanne d’Arc» ayant mouillé à Hong Kong, c’est l’élégant croiseur-école mis en service en 1931. Le navire, d’un déplacement de 6500 tonnes et long de 170 m, embarque 150 élèves (qui dorment dans des hamacs) et plus de 500 officiers, officiers-mariniers et marins. La première campagne 1931-1932 se déroule en Amérique du sud et ne passe pas par l’Asie. En revanche, du 6 au 10 mars 1933, le croiseur-école fait escale pour la première fois à Hong Kong, escale annoncée au Consul de France par dépêche dès le 8 juin 1932! Immobilisé aux Antilles pendant le deuxième conflit mondial, le navire reprend ses campagnes après guerre et passe à Hong Kong à plusieurs reprises. Sa dernière escale dans le port de Victoria, lors de son avant-dernière campagne de 1962-1963, marque agréablement les marins. Après avoir quitté Kobé, le croiseur affronte en effet en mer du Japon une violente tempête qui endommage gravement son arbre d’hélice. La «Jeanne» doit donc effectuer des réparations à Hong Kong et entre en carénage à Kowloon, à la grande satisfaction de l’équipage qui voit son séjour à Hong Kong durer plus de deux semaines!
En 1964, après trente-trois ans de service, le croiseur est désarmé et est remplacé par un navire moderne au dessin original, croiseur porte-hélicoptères long de 181m et déplaçant 10500 tonnes. Le bâtiment est doté d’un pont d’envol et d’un vaste hangar pour abriter ses hélicoptères. Ces caractéristiques offrent à la nouvelle «Jeanne d’Arc» des capacités de réception à bord qui font l’émerveillement et la joie des centaines d’invités qui participent aux cocktails traditionnels donnés à chaque escale. Depuis 1964, la deuxième « Jeanne » fait escale à huit reprises à Hong Kong, lors des campagnes 65-66, 69-70, 73-74, 76-77, 80-81, 84-85, 87-88 et enfin 91-92. Pour l’équipage, l’escale de Hong Kong revêt un charme particulier, teinté d’exotisme, de contrastes et de mystère. Les récits de voyages, les souvenirs d’escales et les témoignages des marins reflètent le caractère mythique du séjour à Hong Kong. En 1965, pour la première escale à Hong Kong du nouveau navire-école, la «Jeanne d’Arc» y passe Noël et jour de l’An et un officier-marinier se souvient : «après Manille et ses 30°, nous accostons à Hong Kong six jours après, avec une température proche de 0°. [...] Nous parcourons la ville sur des pousse-pousses et prenons le tram jusqu’au sommet du Peak où une vue époustouflante s’offre à nous, sous un ciel bleu pur». Un marin évoque sa visite à Hong Kong en 1973 : «une escale atypique pour l'époque, la rencontre entre une ville ultra moderne (buildings nombreux commerces) et la vieille Chine traditionnelle, deux mondes très différents se côtoyant». Un officier-élève, en escale en 1978, se rappelle «des centaines de sampans à bord desquels des familles entières vivaient, dormaient et mangeaient».
Jusqu’aux années 80, l’escale à Hong Kong est aussi l’occasion pour les marins de découvrir avec étonnement une institution très célèbre du port, en particulier au sein des marines militaires occidentales : les services de la compagnie «Jenny Side Party» que les marins français appellent souvent «Suzie Wong», en référence au célèbre roman de Richard Mason et au fait que certaines ouvrières de la compagnie se font appeler «Suzie». En échange de la récupération de tout ce dont les navires se débarrassent lors de l’escale de Hong Kong, bouteilles, bidons, papiers, métaux, emballages, etc., les ouvrières chinoises de «Jenny Side Party» décapent les coques des navires et les repeignent en gris, en quelques jours, à l’aide «de rouleaux de peinture fixés au bout de longs bambous», comme se souvient un officier-élève de 1977, maintenant amiral. Les marins apprécient particulièrement ce service rapide et bon marché qui les affranchit d’une corvée incontournable. Un officier mariner raconte : «De Singapour, où nous sommes restés cinq jours, nous sommes partis pour Hong Kong. La traversée fut dure car nous avons ramassé une queue de typhon en Mer de Chine. Nous avons été secoués pendant quatre jours de rang. A notre arrivée à Hong Kong, le bateau n'était pas beau à voir mais l'équipe nous a remis le bateau à neuf en peu de temps. […] Pour pouvoir prendre nos déchets de bouche (poubelle de table) une trentaine de chinoises sont montées à bord et en six jours d'escale, ont repeint le bateau de la ligne de flottaison jusqu'en haut du mat. Grâce à leur récupération, elles faisaient vivre tout un village sur l'eau. A notre départ, juchées sur leurs esquifs, elles nous ont offert un feu d'artifice. J'en rêve encore».
La dernière escale de la «Jeanne d’Arc» remonte à plus de quinze ans. Après plus de quarante ans de bons et loyaux services, le navire-école sera désarmé en 2010 mais son remplacement n’est pas programmé pour l’instant. Hong Kong et sa communauté française ne verront donc sans doute plus d’escale de la «Jeanne d’Arc»...
CR.
Sources: témoignages divers. Crédits photographiques : Georges Béhague (1) - Marine Nationale (2) - HKMM (3).

vendredi 12 septembre 2008

1848 : Les soeurs de Saint Paul de Chartres s'installent à Hong-Kong

Le 12 septembre 1848, les sœurs de la congrégation de Saint Paul de Chartres débarquent à Hong Kong. Monseigneur Forcade, évêque à Hong Kong des Missions Etrangères de Paris, a invité les sœurs à rejoindre le territoire pour y poursuivre leur œuvre caritative. 160 ans plus tard, les sœurs sont toujours actives à Hong Kong dans les domaines de la santé et de l’éducation.
Le 11 décembre 1847, Monseigneur Théodore Augustin Forcade, de la Société des Missions Étrangères de Paris et premier évêque à avoir été ordonné à Hong-Kong le 21 février 1847, écrit à la Révérende Mère Générale des soeurs de Saint Paul de Chartres pour inviter la Congrégation à venir à Hong Kong afin d’y établir un hôpital, un pensionnat et un noviciat.
Fondée en 1696 par l’abbé Louis Chauvet, la congrégation des sœurs de Saint Paul de Chartres est un des plus anciens ordres missionnaires féminins. Sa présence en Asie débute en 1848 avec l’arrivée à Hong Kong de quatre de ses membres. La Révérende Mère Générale accepte en effet l’invitation de Mgr Forcade et, le 12 septembre 1848, quatre sœurs, Sœur Alphonsine (la propre sœur de Mgr Forcade, Calixte Forcade) Sœur Auguste Gallois, Sœur Gabrielle Joubin et Sœur Louise Morse, débarquent à Hong-Kong après un long voyage de quatre mois, via Londres et Le Cap.
Les quatre sœurs constatent très vite que la tâche la plus urgente est la prise en charge des nombreux bébés, essentiellement des filles, abandonnés chaque jour par leur mère. Dès le 1er octobre 1848, elles recueillent leur premier bébé et, fin 1848, 170 enfants ont déjà été secourus. Cette entreprise s’effectue cependant dans des conditions matérielles et sanitaires difficiles. Sœur Alphonsine est ainsi la première soeur à payer du sacrifice de sa vie l’oeuvre apostolique et charitable entreprise par la congrégation. Elle s’éteint en effet le 11 octobre 1850, deux ans seulement après son arrivée à Hong Kong. En 1851 les sœurs de Saint Paul s’installent à Wan Chai et créent «L’Asile de la Sainte enfance», en référence à l’institution du même nom en France qui finance l’orphelinat de Hong Kong. Au cours des décennies qui suivent, des milliers d’enfants sont sauvés, recueillis, nourris, éduqués. Nombre d’entre eux sont adoptés par des familles de Hong Kong ou par des familles d’étrangers. Hong Kong sert ensuite de base de départ aux sœurs de Saint Paul de Chartres pour poursuivre leurs actions missionnaires en Asie. Après Macao en 1854, elles s’installent en Indochine en 1860, puis en Corée, au Japon, en Thaïlande, aux Philippines et en Chine.
Au recueil des orphelins, les sœurs ajoutent vite les soins médicaux envers les plus nécessiteux. Pendant l’épidémie de peste de 1894, qui permet à Alexandre Yersin d’isoler le bacille de la peste, les sœurs accueillent non seulement des enfants atteints par la maladie mais aussi des femmes âgées. Peu à peu, un hospice pour personnes âgées puis un centre d’accueil pour handicapés voient le jour. La communauté fonde ensuite, en 1898, un hospice pour les vieillards, puis en 1903 un hôpital à Wanchai sur un terrain offert par l’administration coloniale britannique.
En 1899, les sœurs créent le Noviciat que souhaitait Mgr Forcade et qui est inauguré le 11 février 1899. En 1908, l’Asile de la Sainte Enfance ne suffisant plus aux besoins, le Gouverneur britannique Sir Frederick Lugard inaugure à Wanchai «Le Calvaire», hôpital pour les démunis et refuge pour les pauvres, plus tard transformé en école.
Mais bientôt les locaux de Wanchai ne suffisent plus et les sœurs de St Paul de Chartres se lancent en 1916 dans un déménagement historique vers Causeway Bay, où elles construisent un couvent, un noviciat, un orphelinat, une école et l’hôpital de Saint Paul. Les sœurs étendent aussi leurs activités à Kowloon, où elles construisent l’hôpital de Sainte Thérèse.
160 ans après leur arrivée, les Sœurs de Saint Paul de Chartres sont toujours très actives à Hong Kong. Les orphelinats ont heureusement pu fermer, faute d’enfants à recueillir, mais les sœurs continuent de déployer leur énergie dans les domaines de l’éducation (maternelles de St Paul à Taipo, écoles catholiques primaires et secondaires de Happy Valley et de Lam Tin) et de la santé (hôpitaux de Sainte Thérèse et de Saint Paul), symboles d’une présence française continue et des liens tissés avec la population de Hong Kong.
CR.

Sources et crédits photographiques: Sœurs de Saint Paul de Chartres, Hong Kong.

jeudi 11 septembre 2008

Le récit d’une Parisienne à Hong Kong en 1875

Laure Durand-Fardel accompagne son mari lors d’une expédition médicale en Chine. De passage à Hong Kong, elle flâne de mondanités en visites, laisse un témoignage enthousiaste et rédige notamment le récit d’une soirée mouvementée au théâtre chinois.
Jusqu’en 1875, Maxime Durand-Fardel est inspecteur des eaux de Vichy. Une vie de travail consacrée à la santé, dans un confort qui manque de piment au goût du médecin… A 60 ans, il décide avec sa femme, Laure, de partir en Chine pour un voyage d’étude. Il assure le récit de la partie médicale, elle s’occupe de l’observation des sociétés et de la géographie. Tout comme son mari scientifique, Madame est directe, son écriture est franche et son regard pertinent. «De Marseille à Shanghai et Yedo» est un succès retentissant à sa sortie en 1881.
Comme pour mettre en avant sa modernité, elle précise en sous-titre de son ouvrage : «récits d’une Parisienne»; mais loin d’être exclusivement mondain, le récit est parfois d’une touchante sincérité. Ainsi, à peine arrivée en mer de Chine, Laure Durand-Fardel s’extasie à chaque page et confesse : «Vous me trouvez peut-être un peu enthousiaste. Mais j’avais si peu vu jusqu’à ce jour. Tout me surprend ; tout est nouveau ; à chaque site, à chaque horizon, je me récrie : Je n’ai jamais rien vu d’aussi beau!».
La Française doit pourtant mériter son arrivée à Hong Kong. Le navire sur lequel elle embarque à Saigon est pris dans les tourments d’un typhon qui chahute les eaux pendant cinq longues et éprouvantes journées… Après le brouillard, un grand soleil ; après le froid, une chaleur de plomb : Hong Kong apparaît enfin, sous «l’aspect le plus riant et le plus gracieux». L’harmonie est ce qui qualifie le mieux le paysage de l’île au regard de la Parisienne. «Les montagnes qui entourent la rade sont juste assez élevées pour faire un fond de tableau imposant sans être abrupt, et le penchant du pic semble avoir été créé et disposé pour abriter le joli nid qui est venu y prendre place».
La communauté française réserve un bel accueil aux époux et ces derniers s’installent à l’hôtel Univers. Laure Durand-Fardel se rassure en constatant que le maître d’hôtel est Français, «ou du moins il est Suisse, ce qui, à la distance où nous sommes, paraît la même chose». C’est un trait remarquable chez presque tous les voyageurs ou expatriés de l’époque; on gomme avec aisance les différences entre nations européennes à mesure qu’on s’éloigne du sol natal. Ainsi et par exemple, de belles amitiés franco-britanniques ou des associations commerciales franco-allemandes voient parfois le jour sous les tropiques… en des temps où les métropoles sont nettement plus crispées.
«Les riches commerçants Anglais ont ici la vie la plus belle et la plus large qu’on puisse désirer. Il y a de la société et on s’y amuse beaucoup». Les rues impressionnent Laure Durand-Fardel «même dans la partie la plus chinoise. […] Il y a de beaux jardins publics très bien tenus et très pittoresques ; la garnison anglaise y fait de la musique plusieurs fois par semaine. Les belles dames y viennent s’y promener et étaler leurs toilettes». Notre touriste se rend à l’hippodrome de Happy Valley dont elle compare le confort à ceux d’Auteuil ou de Longchamp. Elle s’amuse de voir son mari résister «aux nuées de coolis qui le sollicitent pour monter dans la chaise qui est sur leurs épaules». Monsieur tient à arpenter les rues à pied, mais change d’avis le lendemain lorsqu’il s’agit de monter au Pic. Cette journée se poursuit également par une visite chez les Pères missionnaires au Sanatorium de Béthanie. Enfin, la séance shopping est un incontournable… mais « j’y trouve tout à peu près aussi cher qu’à Paris ; j’en suis stupéfaite». Les malles se remplissent quand même «de choses splendides qui, à Paris, seront rares et peut-être même uniques».
Et l’auteur d’enchaîner avec quelques mondanités ; tout particulièrement une fameuse soirée à bord du navire de l’amiral Krantz. Celui-ci raconte ses innombrables voyages et «ses relations avec les souverains et les peuplades de tout ces parages» avec en fond «cet admirable panorama d’Hong Kong, dominé par le pic qui lui dispense ça et là ses obscurités fantastiques. C’était à faire rêver». L’officier émerveille la Parisienne mais elle se trouve refroidie par le récit de l’attaque du navire américain Spark, trois mois auparavant, par d’insaisissables pirates Chinois non loin de Hong Kong… où elle doit se rendre dans quelques jours.
Longuement, elle s’étend sur une soirée passée au théâtre Chinois. Après une description précise des lieux, elle ne cache pas son incompréhension. Comme beaucoup de voyageurs de son époque, son récit est animé d’une saine curiosité; mais la barrière culturelle semble infranchissable. «Le spectacle commence tous les jours vers onze du matin et se termine entre minuit et une heure. Pendant ce temps, la salle ne désemplit pas […]. C’est un va-et-vient continuel. Les femmes y apportent leurs pipes, et quelques-unes ont avec elles une servante chargée de la leur tenir toujours prête. Les acteurs sont tous des hommes; ceux qui sont chargés des rôles de femmes sont généralement assez jolis et ne laissent rien à désirer dans la manière dont ils remplissent leur emploi. Quant aux pièces, le plus malin d’entre nous n’y pourrait rien comprendre; elles n’ont commencement ni fin et pourraient durer toujours. Les costumes sont beaux; les figures sont littéralement enduites de peinture. Pour nous, cela ressemble beaucoup à une parade de foire, parce qu’il y a beaucoup de cris, de gestes, de culbutes, avec une musique enragée, c’est le mot! Aucun air ne peut y être noté; ce tapage accompagne leurs chants aussi bien que leurs déclamations. On sort de là très étourdi, ou plutôt abasourdi; mais on est pas fâché d’y être allé une fois. Max [son mari] est allé dans les coulisses et sur la scène, pour voir de près; j’aurais bien voulu l’y suivre, mais ce n’eut pas été bien vu de la société de Hong Kong».
Laure Durand-Fardel rêve d’une Chine «enveloppée dans les brumes épaisses où l’avait trouvé Marco Polo»; elle s’étonne avec un peu d’amertume de trouver un pays où «tout change, et se détruit, et se refait d’un jour à l’autre, et l’on ne peut prévoir ce qu’il en restera demain». Hong Kong est à ce titre une étape emblématique.
FD.

Sources : Laure Durand-Fardel, De Marseille à Shanghai et Yedo, 1881. Numa Broc, Dictionnaire illustré des explorateurs français du XIXe siècle, 1992.
Remerciements à M. Yves Azémar et son inépuisable librairie d'ouvrages anciens sur l'Asie, 89 Hollywood road - Hong Kong.

lundi 8 septembre 2008

Ernest-Napoléon Godeaux, premier consul de France à Hong Kong

En novembre 1862, Ernest-Napoléon Godeaux, premier diplomate de carrière désigné comme consul de France à Hong Kong, prend ses fonctions. Après avoir installé le nouveau consulat de France, Ernest-Napoléon Godeaux demeure deux ans en poste à Hong Kong, avant de poursuivre sa carrière en Chine et dans d’autres pays.
Le 28 juillet 1862, l’Empereur Napoléon III institue par décret un consulat de France à Hong Kong. Jusqu’à cette date, et depuis 1849, la France n’était présente officiellement dans la colonie britannique que par l’intermédiaire d’«agents consulaires», personnalités n’appartenant pas à la carrière diplomatique mais pouvant représenter officiellement la France. Vingt ans après la fondation de Hong Kong, le développement de la ville et de son port et son rôle d’«emporium» en Asie, conduisent le ministère des Affaires étrangères à transformer l’agence consulaire en consulat de plein exercice et à en confier la direction à un diplomate de carrière. Le ministère désigne alors le premier de ses agents appelé à devenir consul à Hong Kong et son choix se porte sur Ernest-Napoléon Godeaux, jeune diplomate de 29 ans, né à Paris en 1833.
Alors qu’il suit des études de Droit, il entre le 6 janvier 1852 au ministère des Affaires étrangères, comme «élève-consul». Son apprentissage du métier de diplomate commence la même année au consulat de France à Nice. La ville appartient encore à cette époque au royaume de Piémont-Sardaigne et ne devient française qu’en 1860, lors du rattachement du comté de Savoie et de celui de Nice à la France de Napoléon III. De retour à Paris en juin 1853, Ernest-Napoléon Godeaux y termine ses études de Droit. En novembre 1854 il rejoint, toujours comme «élève-consul», la mission de Charles de Montigny, chargé de conduire des négociations avec le Royaume du Siam. Il revient en France en 1857 et, deux ans plus tard, il est affecté au consulat général de France à Londres. En 1861, après un nouveau passage à Paris, Ernest-Napoléon Godeaux est affecté à l’île Maurice, à Port-Louis, et il est promu à cette occasion «consul de 2e classe». C’est là que, par lettre du 9 août 1862, le ministre des Affaires étrangères lui annonce sa nomination comme consul de France à Hong Kong. Dans sa réponse du 1er octobre, Ernest-Napoléon Godeaux, exprime sa reconnaissance au ministre pour l’avoir désigné «au choix de Sa Majesté pour un poste aussi important». Pour le jeune diplomate, c’est une promotion («l’Empereur a daigné m’appeler au consulat qui vient d’être institué à Hong Kong») et il assure le ministre qu’il fera «tous ses efforts pour justifier» cette marque de confiance. Il annonce aussi qu’il prendra ses fonctions un mois plus tard, profitant d’une escale à l’île Maurice d’un navire des Messageries Impériales qui s’apprête à voguer vers Hong Kong.
Le territoire ayant alors statut de colonie britannique, gouvernée par Sir Hercules Robinson, c’est de la reine Victoria que Ernest-Napoléon Godeaux reçoit son exequatur, comme l’avait reçu avant lui, en 1849, le premier agent consulaire désigné par la France, Georges-Louis Haskell, citoyen américain.
Par lettre du 14 novembre, Ernest-Napoléon Godeaux annonce son arrivée à Hong Kong et «sa prise de service du poste» le 6 novembre. Le 1er décembre 1862, il informe le ministère que le consul d’Espagne à Hong Kong, M. José d’Aguilar, chargé des intérêts français depuis mars de la même année, lui a transmis les archives de l’agence consulaire.
La première mission du consul est d’installer le nouveau consulat de France, de trouver des locaux et de préparer son budget, qu’il estime, dans une dépêche du 26 décembre 1862, à un total de 2919 francs pour l’année 1863. La teneur de la réponse du ministère des Affaires étrangères, en date du 10 mars 1863, n’a guère pris de rides : «…je ne puis donc que vous ouvrir provisoirement pour les fournitures de bureau un crédit de mille francs, qui demeure bien entendu subordonnée à l’encaissement préalable de recettes suffisantes pour en couvrir le montant. Prenant d’ailleurs en considération les frais exceptionnels d’une première installation, je consens à ce que cette somme soit employée en totalité en 1863». Quelques mois plus tard, la dépêche du 22 octobre 1863 permet de se faire une idée précise du coût du consulat de France à Hong Kong pour cette première année de fonctionnement. Ernest-Napoléon Godeaux y détaille avec précision les différents types de dépenses du poste, comme tous ses successeurs ont continué de le faire par la suite : «Un garçon de bureau à 6 piastres par mois : 72,00$ ; loyer de la chancellerie à 30 piastres par mois : 360,00$ […] une rame de papier à lettre petit format, 800 enveloppes à 2 piastres le cent […] 2 boîtes à plumes : 2,00$ […] 3 boîtes de cire à cacheter : 6,00$ […] menus achats, 6,50$, frais imprévus : 10$», pour un total de 3279,00 francs, somme demandée pour le budget 1864.
Sur le plan politique, le chargé d’affaires à Pékin a invité Ernest-Napoléon Godeaux à suivre également les affaires de Macao. Mais le consul émet des réserves et sollicite des instructions de la part du ministère car il estime que, Macao étant colonie portugaise, cette décision ne peut être prise qu’après accord du Portugal. Par lettre du 15 février 1863, la direction des Consulats approuve la réaction du consul : «Je ne puis, Monsieur, qu’approuver votre réserve. […] la colonie portugaise de Macao sera désormais comprise dans votre arrondissement consulaire». Et, plus tard, dans une dépêche du 31 août, le ministère informe Ernest-Napoléon Godeaux que «l’exequatur du gouvernement portugais qui vous est nécessaire pour être reconnu dans cette dernière résidence» a été accordée. Il est donc demandé au «consul de France à Hong Kong et Macao […] de bien vouloir prendre sans retard les mesures nécessaires pour organiser sur des bases satisfaisantes le service de l’agence consulaire de France à Macao». Il s’agit là de la première mention du titre de «consul de France à Hong Kong et Macao» dans les archives du ministère des Affaires étrangères. C’est donc depuis le 31 août 1863, il y a 145 ans, que le consulat de France a double compétence pour Hong Kong et Macao.
Ernest-Napoléon Godeaux est consul de France à Hong Kong pendant environ un an et demi, de fin 1862 à début 1864. Il quitte en effet Hong Kong en avril 1864 pour Shanghai, où il sert à trois reprises pendant la période 1864-1879. Il sera aussi consul à la Nouvelle-Orléans (1866), à Alexandrie (1878), à Naples (1879) et enfin à Port-au–Prince (1880). Ernest-Napoléon Godeaux prend sa retraite le 31 août 1884, avec le grade de ministre plénipotentiaire de 2e classe et s’éteint à son domicile à Paris le 1er octobre 1906, à l’âge de 73 ans.

CR.

Sources et crédit photographique : Archives du ministère des Affaires étrangères, Paris.

jeudi 4 septembre 2008

1964, une école française laïque ouvre ses portes

Plus de 1800 élèves ont fait leur rentrée cette année au lycée français international Victor Segalen. Ils étaient 35 en 1964 ; quarante-quatre ans après, c’est l’occasion de revenir sur l’histoire mouvementée de l’enseignement français laïc à Hong Kong.
Après la Seconde guerre mondiale, l’enseignement français, auparavant assuré par les prêtres missionnaires et les sœurs, est moribond. Les vestiges des deux écoles confessionnelles, Saint-Joseph pour les garçons et Saint-Paul pour les filles, ne peuvent plus assurer leurs fonctions. Pour pallier ce manque, un comité de parents est créé au début des années 1960 et, sous l’impulsion de l’énergique Yolande Arnulfy, les deux premières classes de la Petite école francophone voient le jour. Les 35 élèves sont accueillis dans les locaux de Béthanie, l’ancien sanatorium des Pères des Missions Etrangères de Paris.
D’autres solutions doivent rapidement être envisagées car l’édifice ne peut supporter les effectifs croissants ; 70 élèves en 1969, 150 en 1975. Commence alors une longue errance. Un petit séjour dans les locaux de l’Alliance française de Wan Chai avec le jardin public pour toute cour de récréation, puis retour à Pok Fu Lam au Catholic centre. En septembre 1975, c’est au tour de l’ancien hôpital militaire de Borrett road de recevoir les élèves. Ce bâtiment victorien en brique est bien plus adapté aux besoins et absorbe la croissance.

Le gouvernement français reconnaît officiellement l’existence de l’école et Pierre Hudelot est le premier professeur diligenté sur place par l’éducation nationale. Agréé également par le gouvernement de Hong Kong, l’établissement devient Ecole française internationale et poursuit ses développements ambitieux avec un nouveau déménagement… dans ses propres locaux.
Au cours de l’année scolaire 1983-1984, près de 350 enfants entrent dans l’actuel bâtiment de Jardine’s. Le terrain a été concédé par le gouvernement en échange de la création de la filière internationale ; c’est chose faite à la rentrée 1984 avec 150 nouveaux élèves. Les modifications sont nombreuses au cours des années suivantes, mais dès le début des années 1990, ces aménagements ne sont toutefois pas suffisants. Les classes de maternelles migrent à nouveau de Jardine’s à Stanley fort puis dans l’ancien hôpital militaire de Kowloon.
Les statuts évoluent avec les multiples reconnaissances du gouvernement de Hong Kong. En 1988, l’école devient lycée français international et en 1995, on baptise enfin l’établissement du nom de Victor Segalen… qui n’a jamais vécu à Hong Kong mais dont la passion pour la Chine résonne comme une fidèle marque d’attachement. Le cap symbolique des 1000 élèves est alors atteint et c’est encore la crise du logement.
Le 1er juillet 1997, la première pierre d’un nouveau bâtiment est posée, sur un terrain donné par le gouvernement. En 1999, c’est la naissance officielle de «Blue Pool», qui accueille collège et lycée ainsi que toute l’administration nécessaire d’un établissement dont l’expansion semble ne jamais vouloir s’arrêter. Depuis, les maternelles ont à nouveau été déménagées à Sheung Wan, faute de place. Jardine’s et Blue Pool poursuivent leurs aménagements pour grignoter de l’espace. A cette rentrée 2008, une énième extension a vu le jour à Jardine’s et les poutrelles commencent leur valse sur le toit de Blue Pool pour ajouter un nouvel étage…

FD.

Sources : Soizick Casteleyn, LFI Gazette, mars 1999 ; Lycée français international Victor Segalen. Crédits photographiques : Lycée français international Victor Segalen.

lundi 1 septembre 2008

Un atterrissage à Kai Tak

Il y a dix ans, Chek Lap Kok, le nouvel aéroport de Hong Kong, immense, moderne et fonctionnel, entrait en service. Il remplaça alors un des aéroports les plus mythiques au monde, celui de Kai Tak, connu pour le spectacle époustouflant des avions en approche qui survolaient les immeubles de Kowloon, à quelques mètres seulement au-dessus des toits. Un pilote d’Air France raconte…
L’aéroport de Kai Tak était situé au sud de Kowloon et la piste, gagnée sur la mer, était orientée nord-ouest/sud-est. L’atterrissage s’effectuait après avoir fait virer l’appareil à 45° vers la droite, alors que ce dernier n’était qu’à 240 m d’altitude. Les avions en approche, venant du nord-ouest, devaient au cours de leur descente voler au ras des immeubles de Kowloon, à en frôler les toits. De nombreux passagers ayant vécu ces atterrissages à Kai Tak se souviennent avoir vu, de leur hublot, des gens regarder la télévision dans leur salon!
La difficulté de l’atterrissage à Kai Tak exigeait une qualification spéciale et impliquait pour les pilotes d’Air France un entraînement spécifique sur le simulateur de la compagnie. Jacques Darolles, copilote sur Boeing 747-cargo, raconte son expérience d’un atterrissage à Kai Tak. Le lecteur est dans le cockpit d’un Jumbo Jet de plus de 300 tonnes:

«Air France six four two two, Kai Tak approach, clear to IGS approach runway 13, report leaving 3500 ft». Voilà, nous y sommes. Le contrôle nous autorise à l’approche, et une joie de gamin envahit le jeune pilote que je suis encore, l’atterrissage à Kai Tak étant un moment qu’il faut avoir vécu dans une carrière. Mille fois lue, imaginée, écoutée, l’arrivée face à la colline et au milieu des immeubles est de celles qui donnent au métier ce côté exceptionnel.
On part en virage à droite, dans la nuit et la pluie, pour intercepter l'IGS. Ce n'est donc pas un ILS, mais un IGS : les faisceaux radio ne mènent pas sur la piste, mais sur une colline, où un immense damier est peint et éclairé. Vers 700 pieds, il faut quitter l'axe (sinon on rentre dans la colline !) et virer d'environ 50 degrés à droite, l'aile au ras des immeubles, pour finir sur la piste, pendant que le vent tourne un peu dans tous les sens, à cause des obstacles au sol. C'est surréaliste, on perce dans une colline qu'on ne voit pas. Pour être autorisé à utiliser Hong Kong-Kai Tak, il faut au préalable avoir fait des approches sur cette piste au simulateur. Mais au simulateur, il manquait la pluie contre le pare-brise, la turbulence, la radio qui n'arrête pas, et le petit pincement de se dire qu'on y est pour de bon, et qu'on va se mesurer grandeur nature à la légende. «Train sur sorti». […] Check-list avant atterrissage. Malgré l’intensité du moment, rester concentré et rigoureux. Je repense aux moniteurs d’aéro-club qui jadis , m’ont mis le pied à l’étrier, sur les petits terrains de Haute Garonne. Merde, s’ils me voyaient! Ici, c’est le sommet du métier. On se pose à Kai Tak, rien que ça… On commence dessous à voir un tas de lumières dont on ne sait si elles sont des bateaux ou des habitations dispersées sur la multitude d'îles du secteur.
1000 pieds. On jette quelques coups d'oeil devant. «Je vois le damier», annonce sereinement notre Captain, «on continue comme ça».
800 pieds. Voilà le lièvre, c'est à dire la traînée de feux à éclats qui, en virage, mène au seuil de piste, sur le toit des immeubles, où les comités de riverains ne doivent pas trop la ramener. Il faut y croire car, pour l’instant, le terrain est invisible.
700 pieds. «The» virage. Pilote Automatique débrayé, nez dehors, coup d'oeil au badin, c'est comme à la fin d'un encadrement en DR400, le vent qui était arrière tourne plein travers, volets 25, puis 30. Bigre, que cette piste est donc petite! Là, bien aligné dans les 300 derniers pieds, petite dérive, badin stable, on va l'avoir!
200 pieds. Les parkings aussi sont mesurés, et l’autre 747 qui attend pour décoller n'a pas dû rouler beaucoup.
100 pieds. On débouche dans la lumière, les lampes doivent être au maxi.
40 pieds. Plein réduit. Arrondi tranquille. «Boudoum boudoum!». Reverses. «Les quatre passés». «130 nœuds ». Et ça freine ! Spectaculaire, mais moins difficile qu'un tour de Paris avec un avion léger. Ben voilà, reste plus qu'à dégager. «Kai Tak ground. Ni hâo (bonjour en chinois). Air France Six Four Two Two is vacating...».
L’avion s’est posé et rejoint son emplacement au terminal. Les pilotes, mais aussi les passagers, en particulier ceux assis près d’un hublot, viennent de vivre une expérience inoubliable…

CR.
Témoignage : Jacques Darolles. Photos : Air France.