lundi 4 août 2008

Le comte de Beauvoir découvre Hong Kong, la Chine et… sa cuisine.

En 1867, le comte Ludovic de Beauvoir débarque à Hong Kong , première étape d’un long périple en Chine. Il découvre le port de Victoria, la ville et sa population animée, ses rues tortueuses et le Peak. C’est aussi pour lui la première occasion de goûter à la cuisine chinoise et cette expérience initiatrice lui laisse un goût très amer!
Le 9 avril 1866, partis de Londres, le comte Ludovic de Beauvoir (1846-1929) et le duc de Penthièvre entreprennent un voyage autour du monde qui, fin 1866, après l’Australie, les a amenés au Siam. Début 1867, ils arrivent à Hong Kong au moment des festivités du Nouvel An chinois et ils entament ainsi un long périple en Chine, qui les conduira ensuite à Macao, Canton, Shanghai, Pékin et à la Grande Muraille.
Leur navire, après avoir franchi la passe de l’Est, pénètre dans la baie de Victoria et le spectacle décrit par Ludovic de Beauvoir est d`une étonnante actualité : «Rien de joli et d’imposant à la fois comme d`arriver dans l’obscurité à une rade aussi calme que celle de Hong Kong. De toutes parts des roches hardies, de hautes montagnes, encadrent un véritable lac à l’abri contre les vents déchaînés ; sur leurs flancs sont échelonnées en amphithéâtres toutes les maisons brillamment éclairées des marchands anglais qui, en vingt-cinq ans, ont déjà formé une grande ville. Des milliers de lumières se détachent sur ce fond grandiose». Le comte et le duc vont être logés chez le Gouverneur de l’île, Sir Charles Mac Donnell, et pour se rendre à son palais, ils doivent quitter le bord et utiliser les services des batelières qui accostent le navire, «portant un baby (sic) ficelé dans le dos par une écharpe». Le comte de Beauvoir décrit ensuite «le spectacle d’une tapageuse animation dans les rues», la foule des «coulies chinois (qui) se heurtent et se disputent», les «riches négociants du Céleste Empire (qui) y fourmillent, trottant dans leurs bottes de toile blanche en cachant leurs bras dans leur casaquin bleu de ciel». L’accès au palais se fait en empruntant les «rues qui ressemblent à des montagnes russes, quand elles ne sont pas d’interminables escaliers, et souvent des échelles taillées dans le granit». Le Gouverneur emmène ses invités, en palanquins, au sommet du «pic le plus élevé de l’île de Hong Kong, appelé Victoria Peak (1825 pieds), d’où la vue s’étend sur l’archipel des îles environnantes et, au loin, jusqu'à la grande mer. Mais quelles terres pelées et dénudées que ces premières côtes de la Chine ! Quel chaos de roches grisâtres et de montagnes désertes !». La première impression du voyageur est celle d’un émerveillement : «si Bangkok est l'image asiatique de Venise, la ville de Hong Kong, appliquée comme un rideau sur une pente rocheuse et escarpée, nous semble être la Gênes de l'Extrême Orient».
Le soir, le Gouverneur invite les voyageurs à dîner mais, «au lieu de nous servir le festin préparé par son cuisinier français, réputé excellent, (il) nous donne dans le plus chinois des restaurants de la ville chinoise, chez Han-Fa-Loh-Chung, dans Taeping-Schan, un vrai souper de mandarin» : intéressante précision fournie par le comte de Beauvoir, qui nous révèle ainsi que, en 1867 déjà, un cuisinier français, et qui plus est cuisinier du Gouverneur anglais, contribuait à la réputation de la cuisine française à Hong Kong ! Le dîner se tient «aux sons des violons à une corde et des tambourins de quatre jeunes chinoises rieuses et peintes». Chaque convive a «deux bâtonnets d’ivoire, en guise de fourchettes et de couteaux».
Selon la bonne tradition culinaire chinoise, la liste des mets servis est impressionnante et comporte plus de quinze plats. «Voici le menu textuel et l’ordre de notre festin : fruits confits – œufs de poisson glacés dans du caramel – amandes et raisins – ailerons de requins sauce gluante – gâteaux de sang coagulé – hachis de chien sauce au lotus – soupe de nids d’hirondelles – soupe de graines de lis – nerfs de baleine, sauce au sucre – canards de Kwai-Poh-Hing, – ouïes d’esturgeon en compote – croquettes de poisson et de rat tapé – soupe à la graisse de requin – compote de bêche-la-mer et de tétards d’eau douce (…) – ragoût au sucre composé de nageoires de poisson, de fruits, de jambon, d’amandes et d’arômes – soupe aux lotus et aux amandes comme dessert». Le repas est arrosé de «vin rose, très médicinal, et le sam-chou, eau-de-vie de riz tiède et écoeurante». Et, à ce moment du récit du comte de Beauvoir, tombe la sentence sur ce premier repas chinois : «ce dernier mot, je puis le donner comme adjectif qualificatif à chacun des mets que nous avons tenté d’introduire dans nos solides estomacs. Il me semble qu’avec un grand pot de gélatine, des abatis de volailles, des balayures de la boutique d’un droguiste, et un fond de tiroir de pharmacie, j’arriverais à vous reproduire, à mon retour, l’ensemble antigastrique qui s’appelle un dîner purement chinois». Jugement très sévère et quelque peu préoccupant de la part d’un voyageur qui goûte à la cuisine chinoise dès le premier jour de son arrivée en Chine, pays dans lequel il s’apprête à passer plusieurs mois !
Le comte poursuit en effet son voyage en Chine. Il est à Shanghai en mars 1867, puis au Japon, avant de traverser l’Océan Pacifique et d’atteindre San Francisco. Le récit de son voyage, paru en 1869 dans Voyage autour du Monde, connut un grand succès et fut réédité à plusieurs reprises. Il y commente certaines de ses expériences culinaires mais aucune n’a le goût très particulier de son premier repas chinois pris à Hong Kong…

CR.

Sources et photo : Voyage autour du Monde, tome II : Java, Siam, Canton, Henri Plon, Paris, 1869. Réédité par Kailash, Paris, en 1998.
Remerciements à M. Yves Azémar et son inépuisable librairie d'ouvrages anciens sur l'Asie, 89 Hollywood road - Hong Kong.

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