jeudi 28 août 2008

Une tentative de ligne postale par hydravion entre Hanoi et Hong Kong

En mai 1929, un hydravion français, après avoir décollé de Hanoi, amerrit à Hong Kong. Son pilote a pour projet de développer une liaison postale régulière entre l’Indochine et Hong Kong par hydravion. Si le vol d’essai réussit, non sans difficultés, la tentative restera sans lendemain.
Le 17 mai 1929, un hydravion décolle de Hanoi à destination de Hong Kong. Son pilote, Robbe, souhaite établir une ligne postale régulière entre l’Indochine et Hong Kong. C’est en effet l’âge d’or de l’Aéropostale, la ligne aérienne qui de 1927 à 1933 dessert, à partir de Toulouse, Dakar et l’Amérique du Sud. Mermoz, Guillaumet et Saint-Exupéry en sont les héros et leur légende fait des émules.
L’appareil, un hydravion «FBA Type17 H» n’est pas des plus modernes. Il est sorti quelques années plus tôt des ateliers de Louis Schreck, constructeur d’hydravions du début du XXe siècle. C’est un appareil triplace d’une envergure de 13m, long de 9m et motorisé par un moteur Hispano-Suiza de 180ch. Sa vitesse maximale est de 142km/h et son autonomie de 350 km.
L’appareil décolle de Hanoi le 17 mai 1929 à 5 heures du matin. Peu après le départ, à la hauteur de Moncay, il rencontre une violente tempête qui force l’équipage à chercher un endroit propice pour amerrir. Mais, en cours d’amerrissage, l’hydravion heurte un rocher affleurant à la surface de l’eau et le choc provoque une importante voie d’eau dans la coque. Alternative : amerrir et couler ou re-décoller dans la tempête. Robbe choisit la deuxième option, réussit à reprendre de l’altitude et atterrit à Haiphong à 10 heures (l’hydravion est doté d’un train d’atterrissage fixe). Des réparations sont effectuées dans la journée afin de colmater la brèche dans la coque. L’hydravion peut alors décoller le 18 mai à 10 heures et il atteint Hong Kong le même jour à 17 heures, après des escales à Moncay, Fort-Bayard (aujourd’hui Zhanjang, dans la province du Guangdong) et Macao. Le lendemain 19 mai, l’hydravion décolle de nouveau pour prendre le chemin du retour et il arrive sans encombre à Hanoi le 20 mai, après une escale à Fort-Bayard.
L’arrivée de l’hydravion à Hong Kong intéresse grandement les autorités de la colonie britannique, en particulier celles du port de Hong Kong et celles de l’aérodrome de Kai Tak. En effet, l’appareil n’est pas un hydravion spécialisé dans le raid aérien comme il s’en construisait à l’époque, mais au contraire un modèle de série, muni d’un moteur de puissance moyenne. La réussite de ce vol ouvre donc des perspectives intéressantes pour le développement du trafic aérien dans le Sud de la Chine et pour les liaisons avec l’Indochine. Il s’agit en outre d’un appareil français et ce succès, outre le prestige qu’il apporte aux ailes françaises, peut avoir des impacts commerciaux. Le consul de France à Hong Kong par interim, Marc Duval, dans sa dépêche du 22 mai 1929, note ainsi qu’«il eût été regrettable que Mr Robbe, dont l’arrivée avait été annoncée pour la veille, ne pût atteindre le but qu’il s’était proposé. Ceci n’aurait pas manqué de jeter un certain discrédit sur la valeur de nos pilotes et sur la qualité du matériel français d’aviation». Le pilote Robbe souhaitait également se rendre à Canton mais le consul lui a déconseillé ce voyage «par suite de l’état de guerre existant actuellement».
La réussite de cette première liaison par hydravion entre Hanoi et l’Indochine restera cependant sans suite et, neuf ans plus tard, le défi d’une liaison régulière avec Hong Kong sera relevé par un avion Dewoitine 338, à l’occasion du premier vol Air France, le 4 août 1938.

CR.

Sources : Archives du ministère des Affaires étrangères, Nantes.

lundi 25 août 2008

Des marchands lyonnais prospectent à Hong Kong



De 1895 à 1897, douze bourgeois lyonnais partent en Asie pour étudier les éventuels débouchés commerciaux. Organisés et méthodiques, ils arpentent ensemble ou séparément différentes parties de la Chine. Louis Rabaud est chargé du rapport sur Hong Kong…

La plupart d’entre eux ont entre trente et quarante ans. Ce sont des négociants confortablement installés à Lyon. Une passion les réunit : voyager et découvrir. En 1895, douze bourgeois laissent leurs affaires en gérance et partent pour un long périple sous le prétexte d’une étude approfondie des débouchés potentiels… en Chine !
Ces bourgeois qui n’ont rien d’aventuriers tirent de leur voyage un gros volume intitulé «La mission lyonnaise d’exploration commerciale en Chine». On y trouve effectivement des rapports détaillés sur la situation économique des plus grandes villes ou des régions les plus intéressantes du point de vue des affaires… mais avant ces pages de chiffres et d’analyse parfois un peu rébarbatives, les marchands lyonnais offrent également un récit précis et détaillé de leurs pérégrinations car, aventuriers ou pas… arpenter la Chine à la fin du XIXe siècle reste un exploit.
Hong Kong a servi de base arrière à un certain nombre d’entre eux et Louis-Marie Rabaud consacre à l’île un rapport enthousiaste. C’est une « colonie merveilleuse, presque uniquement composée d’un port, l’un des premiers du monde ». Il ajoute en note de bas de page les toutes dernières nouvelles : «l’Angleterre a obtenu cette année (1898), sous prétexte de nécessité stratégique, un agrandissement territorial considérable (200 miles carrés) sur la terre ferme en face de Hong Kong et en arrière de Kao-loun». Ce sont les fameux Nouveaux Territoires.
Malgré les typhons le port est considéré comme sûr grâce à ses abris. «L’Angleterre a la spécialité des colonies rocheuses ; elle laisse les autres construire sur le sable, et il faut reconnaître qu’elle excelle dans le choix de ces cailloux, auxquels personne ne voit d’utilité jusqu’au jour où elle démontre, par des moyens forts probants, qu’ils en ont une fort grande». Rabaud détaille ensuite l’urbanisation de l’île et précise, dans le feu de l’actualité, que «ne pouvant toujours monter, on a gagné sur la mer ; en ce moment (octobre 1896) on fait un travail énorme qui donnera plusieurs hectares de terrain à bâtir, sur un quai magnifique». Rappelons qu’à l’origine, la mer borde l’île au niveau de Queen’s road, là où le tram circule actuellement. L’entreprise est grande mais le succès garanti : le Français est étonné d’apprendre que la plupart des entreprises ont déjà «loué leur locaux dans des maisons dont les fondations sont encore sous l’eau».
Le marchand voyageur est ravi et ajoute : «rien n’est négligé pour que les habitants trouvent tout le confort auquel ils sont habitués chez eux, et qui est rendu encore plus nécessaire dans un climat fatiguant. C’est malheureusement une théorie qui n’est pas admise dans toutes les colonies françaises». Il enfonce le clou en comparant Hong Kong à Hai Phong en Indochine. En 1896, la première compte 8000 Européens et 230 000 Chinois tandis que le port français rassemble 900 Européens et 17 500 «indigènes».
L’œil du commerçant reprend le dessus et il s’extasie, «en somme, par un développement merveilleux, la colonie est devenue un centre maritime, commercial, financier, une sorte de marché général pour l’Extrême-Orient. Son commerce a des ramifications dans toutes ces mers lointaines –si peu connues par le grande nombre, chez nous- et son port est en relation directe avec la moitié du monde». Il ajoute que c’est un port franc et qu’il est donc difficile d’obtenir des statistiques sur le mouvement des navires… mais ainsi cette zone échappe «aux nombreux ennuis que crée toujours la douane, même la plus paternelle». Encore une pique pour l’Indochine voisine.
Dans le rapport économique de la mission, les chiffres ne manquent pourtant pas, et les comparaisons édifiantes non plus. On apprend ainsi que, depuis 1894, le tonnage d’entrée et de sortie à Hong Kong est supérieur à celui de Londres, New Castle, Liverpool ou Cardiff. Dans la colonie, un million de tonnes supplémentaires sont accueillies chaque année et le tonnage à l’entrée a triplé en trente ans. Le succès et la progression sont impressionnants. Les deux tiers des bateaux sont anglais mais seize autres nationalités font tourner les affaires ; en tête et en perpétuelle concurrence : les Allemands puis les Français.
Il est précisé qu’un record a été atteint le 5 avril 1895 lorsque 241 navires mouillaient dans le port au même moment, parmi lesquels 69 vapeurs, 8 voiliers et 164 jonques. Le nombre de petites jonques chinoises est incalculable quelque soit la période… La ville s’enorgueillit de 15 millions de tonnes de marchandises de passage chaque année. Les échanges sont denses et Rabaud détaille avec force de chiffres chaque produit en transit dans la colonie britannique. Il disserte longuement sur les rapports avec la Chine. Il pointe notamment le fait que la colonie est surtout un port de transit et qu’une grande partie du commerce a lieu de Chine en Chine… Conclusion : les ouvertures sont intéressantes et Hong Kong est le port où il faut s’installer pour démarrer une activité commerciale avec l’Empire du Milieu.
La main d’œuvre est essentielle et Rabaud reconnaît qu’une «aide puissante est donnée au mouvement du port de Hong Kong par le grand nombre d’émigrants chinois qui passent chaque année». En 1895, 73 000 sorties et plus de 112000 entrées… Du point de vue industriel, «Hong Kong est déjà bien doté». Il cite entre autres le cas de la Taikoo sugar refining C° qui fournit jusqu’à «un million de kilogrammes de sucre raffiné» par an. Encore aujourd’hui, c’est le principal producteur de sucre à Hong Kong. Reste à ausculter les milieux de la finance. Louis Rabaud recense 172 compagnies d’assurances et il lui est impossible de dire combien de banques sont représentées. Tous les établissements bancaires de tous les pays essayent d’implanter une succursale ; il conclut, «Hong Kong est devenu un marché d’argent, un foyer de spéculation».

FD.
Sources : La mission lyonnaise d’exploration commerciale en Chine, 1898.

Remerciements à M. Yves Azémar et son inépuisable librairie d'ouvrages anciens sur l'Asie, 89 Hollywood road - Hong Kong.

jeudi 21 août 2008

Georges-Louis Haskell, premier représentant officiel de la France à Hong Kong

En août 1849, afin de prendre en compte le développement rapide du port de Hong Kong et son rôle croissant comme carrefour d’échanges en Asie, le ministère des Affaires étrangères décide d’y nommer un «agent consulaire». Georges-Louis Haskell, citoyen américain et agent maritime, devient ainsi le premier représentant officiel de la France à Hong Kong.
Dans une dépêche envoyée au ministre des Affaires étrangères le 15 juillet 1848, le baron Alexandre Forth-Rouen, «Envoyé et Chargé d’affaires en Chine» en poste à Canton, argumente en faveur de la nomination d’un agent consulaire à Hong Kong. Il s’agit en effet pour la France de la IIe République de prendre en compte le rôle croissant de Hong Kong comme carrefour d’échanges en Asie : «il y aurait grand avantage à ce que notre agent consulaire pût être placé à ce point central de l’arrivée et de l’expédition de la correspondance entre la station navale et le ministère de la Marine et entre le Département des Affaires étrangères, la légation de Canton et l’agence de Shanghai».A cette époque, la fonction d’agent consulaire correspondait à celle connue aujourd’hui sous l’appellation de consul honoraire. A la différence d’un consul, l’agent consulaire n’était pas un diplomate de carrière du pays qu’il représentait. Il pouvait être de nationalité étrangère et exercer une profession, éventuellement celle de diplomate d’un autre pays. Du fait de ses qualités et de son «honorabilité», la personne désignée comme agent consulaire se voyait confier par le ministère des Affaires étrangères la mission de défendre les intérêts de la France.
Le choix du premier agent consulaire de la France à Hong Kong, justifié par Forth-Rouen dans une dépêche du 21 juin 1849, se porte ainsi sur Georges-Louis Haskell: «sujet américain et associé d’une des premières maisons américaines de Hong Kong, il a longtemps habité en France et parle parfaitement bien le Français. Nous avons deux petits commerçants français établis dans la colonie anglaise mais aucun d’entre eux n’était en mesure d’être revêtu d’un caractère officiel». Intéressante précision qui montre que, sept ans après la fondation de Hong Kong, deux marchands français sont déjà installés sur place mais, aux yeux du diplomate français en poste à Canton, il leur manque les qualités recherchées chez un agent consulaire. Citoyen américain, Georges-Louis Haskell, lui, est employé par deux maisons de commerce américaines établies à Hong Kong. La première est la compagnie de courtage maritime Williams Anthon & Cie, «comptée à Hong Kong parmi les plus respectables et ses membres y sont individuellement fort considérés. Ses opérations consistent à recevoir des navires à consignation, en commission ou en courtages». La deuxième maison de commerce pour laquelle travaille Georges-Louis Haskell est la maison Bush & Cie.

L’exequatur de Georges-Louis Haskell est demandée à Londres. De son côté, le Gouverneur de la colonie, par lettre du 9 août 1849, informe sa capitale de la procédure de nomination d’un «vice-consul» par la France, traduction de la fonction d’agent consulaire. Et, le 26 août 1849, le ministère des Affaires étrangères, suivant ainsi les arguments du baron Alexandre Forth-Rouen, nomme Georges-Louis Haskell premier agent consulaire de la France à Hong Kong. Il exerce cette fonction pendant sept ans puis quitte Hong Kong en octobre 1856 pour s’établir à Singapour. Quelques mois plus tard Duns, consul de Suède et de Norvège, lui succède mais il démissionne en 1857 car il estime que, ne parlant pas Français, il ne peut pas accomplir sa fonction de manière satisfaisante. Albert Vaucher, citoyen helvétique, de la maison Vaucher Frères de Canton, accepte alors de reprendre la charge d’agent consulaire, pour l’exercer jusqu’en mars 1862. La fonction est ensuite assumée par José d’Aguilar, consul d’Espagne, qui la conserve jusqu’au 1er décembre 1862, date à laquelle il remet les archives de l’agence consulaire à Ernest-Napoléon Godeaux, premier diplomate de carrière nommé consul de France à Hong Kong.

CR.

Sources : Archives du ministère des Affaires étrangères, Paris.
Crédits photographiques: Archives du Gouvernement de Hong Kong.

lundi 18 août 2008

1935, le consulat fête le jubilé du roi George

Le jubilé d’argent du monarque britannique George V est célébré le 6 mai 1935. L’événement est commémoré en grande pompe à Hong Kong et le Consul de France n’est pas en reste. Aux premières loges des festivités, René Soulange-Teissier raconte.
Arrivé sur le trône d’Angleterre le 5 mai 1910, George V fête son jubilé d’argent 25 ans plus tard. La colonie britannique de Hong Kong est alors plus fleurissante que jamais et se doit de faire honneur au monarque. Le Gouverneur William Peel voit les choses en grand car après cinq années à ce poste et une longue carrière d’administrateur colonial, il se prépare à partir à la retraite à la fin du mois de mai. Ces fêtes revêtent donc un caractère particulier à Hong Kong et sont un peu les siennes…
Le Consul de France, René Soulange-Teissier, rapporte le déroulement des cérémonies par le menu. «Le 6 mai, j’ai assisté en uniforme au service officiel protestant à la cathédrale St. John. Le Vice-Consul, M. Renner, assistait de son côté, à la même heure, à la cérémonie religieuse semi-officielle à la cathédrale catholique. Dans l’après-midi, je me suis rendu à la garden party donnée par le Gouverneur à sa résidence. Le soir, à 9h30, j’avais été invité et j’ai assisté à une réunion tout à fait intime chez le Gouverneur qui comprenait à peine quarante personnes afin de voir du haut du toit en terrasse de Government House les illuminations et les feux d’artifice qui embrasaient toute la colonie et les navires de guerre ancrés dans le port». Le Consul a une longue carrière asiatique derrière lui. Il était déjà élève-interprète à Hong Kong en 1906, avant de partir aux quatre coins de l’Asie aux postes les plus variés… Ses relations avec l’administration coloniale britannique sont excellentes et il témoigne régulièrement de son amitié pour le Gouverneur.
«Le 7 mai, le Général commandant les troupes de Hong Kong et de toute la Chine m’avait invité à assister dans sa loge à la revue des troupes de la garnison passée par le Gouverneur représentant en l’occurrence l’émanation de la personne royale. Le 8 mai, j’ai également assisté à un Jamborally des Scouts de Hong Kong auquel présidait le Gouverneur. Il était donné en faveur d’une institution charitable de Hong Kong et j’y ai participé de ma contribution». René Soulange-Teissier évoque également des processions avec lanternes et de la figuration chinoise, sorte de théâtre de rue qui déambule dans toute la ville pendant trois nuits entières. Les spectacles attirent «beaucoup d’étrangers des ports voisins et plus de 150000 Chinois de Canton».
L’un des symboles marquants des cérémonies est l’illumination de la plupart des bâtiments du centre-ville. L’événement était prévu de longue date et Soulange-Teissier précise qu’il était «moralement impossible à ce Consulat d’être le seul à n’y point participer». La Banque d’Indochine éclaire les deux édifices qu’elle possède et le Consul procède à l’illumination électrique des bureaux consulaires ainsi que de la Résidence de France et de la maison du Vice-Consul sur le Peak. «Cette décoration était d’un très grand effet et était sans conteste parmi les trois meilleures de Hong Kong. Le Gouverneur, le soir du 6 mai, m’en a chaleureusement exprimé sa satisfaction. La colonie française a été unanime dans ses éloges pour cette manifestation».
A la toute fin de son compte-rendu à l’attention du Ministère des Affaires Etrangères de Paris, le Consul présente la douloureuse facture… et se plaint «des compressions incessantes que le Département est contraint par les circonstances de faire subir au personnel de tout ordre et qui atteignent Hong Kong considérablement plus que tout autre poste de l’Extrême-Orient (143%)». C’est pour le représentant de l’Etat français une nouvelle occasion de faire remarquer la cherté de la vie dans la colonie britannique, élément récurrent des correspondances consulaires et véritable problème pour les agents chargés de représenter la France avec un minimum de faste.
Faste il y a tout de même, en ce début de mai 1935 à Hong Kong. Le résultat, selon le Consul de France est «d’un éclat qui n’avait été surpassé antérieurement que par les fêtes données à l’occasion de l’Armistice».

FD.

Sources et crédits photographiques : Archives du Ministère des Affaires Etrangères. Première photo, Alexandra Building, immeuble des bureaux consulaires, au dernier étage. Deuxième photo, vue de Pedder street illuminée.

jeudi 14 août 2008

Le «Félix Roussel», un visiteur régulier de Hong Kong

En service sur la ligne d’Extrême-Orient pendant plus de deux décennies, le paquebot «Félix Roussel» des Messageries Maritimes a fait escale à Hong Kong des dizaines de fois, y débarquant des passagers qui découvraient la Chine ou embarquant ceux qui, au contraire, retournaient vers la métropole, après des mois, voire des années passées dans le Pays du Milieu.
Il est des navires qui symbolisent une ligne de navigation ou un continent et des ports de destination. Le « Normandie», le «France» et le «Queen Mary» évoquent ainsi dans la mémoire collective la ligne Transatlantique, l’Amérique et New York. Un navire a longtemps représenté la ligne d’Extrême-Orient, l’Indochine, la Chine, le Japon et bien sûr Hong Kong, où il a régulièrement fait escale des années 30 aux années 50. Ce navire, le «Félix Roussel», a été mis en service en 1931 sur la ligne d’Extrême-Orient des Messageries Maritimes, à une époque où le transport aérien était balbutiant (la première liaison aérienne d’Air France, Marseille-Hong Kong, date de 1938). Le paquebot a ensuite navigué sur cette ligne jusqu’en 1955, année où, déjà, les «Constellations» d’Air France transportaient 100 passagers à chaque voyage entre Paris et Hong Kong. Pendant près de 25 ans, le «Félix Roussel» a donc constitué le moyen de transport normal entre la France et Hong Kong. Son nom se retrouve ainsi, au fil des pages, dans les mémoires, les récits de voyages, les compte-rendus de mission ou les documents administratifs des Français qui débarquèrent ou embarquèrent à Hong Kong. En ce sens, le «Félix Roussel» a sa place dans la saga des Français de Hong Kong.
Paquebot d’une série de trois («Aramis» et «Georges Philippar»), le «Félix Roussel» est construit en 1930 aux chantiers de Saint-Nazaire. Long de 171m, d’un déplacement de 21000 tonnes, le «Félix Roussel» transporte environ 400 passagers, dont près de 200 en première classe. Sa décoration intérieure est réalisée dans le style khmer, que le grand public a pu découvrir lors de l’Exposition Coloniale organisée en 1931 à la Porte de Vincennes, grande manifestation dont le pavillon phare est la reconstitution du temple d’Angkor. Le paquebot est mis en service sur la ligne d'Extrême-Orient des «Services Contractuels des Messageries Maritimes» et il entame sa première croisière le 26 février 1931, au départ de Marseille. Le navire emprunte le canal de Suez, fait escale entre autres à Beyrouth, Port Saïd, Aden, Colombo, Singapour, Saigon, puis Hong Kong.
Les frères des Missions Etrangères de Paris, qui venaient à Hong Kong pour y préparer leur séjour en Chine, empruntent alors le paquebot «Félix Roussel». En mars 1932, le navire embarque à Hong Kong le cercueil de Georges-Marie Haardt, chef de la célèbre expédition de la «Croisière jaune» organisée par André Citroën. Arrivé de Pékin à l’issue d’une expédition de près d’un an, Georges-Marie Haardt, épuisé, décède d’une grippe à Hong Kong le 16 mars 1932. Son cercueil, embarqué sur le «Félix Roussel», retrouve à Saïgon, escale suivante, les véhicules et les équipages de l’expédition, avant le retour en France.En 1935, le «Félix Roussel» subit une longue immobilisation aux Chantiers de la Ciotat afin d’améliorer ses performances. Le navire reprend du service et entame un nouveau voyage le 15 mai 1936, à destination de la Chine et du Japon.
Le 15 juin 1937, la famille de Jules Leurquin, consul de France, quitte Hong Kong à bord du «Félix Roussel» pour revenir en France. Le consul, deux mois plus tard, effectue le même voyage et quitte la Chine, où il vient de passer 29 ans. Il y reviendra en 1938 !L’invasion de la France surprend le «Félix Roussel» à Port Saïd, lors de son retour d'Extrême-Orient. Réquisitionné par la Royal Navy, le navire et son équipage rallient ensuite les Forces Navales Françaises Libres, FNFL. Pendant la Deuxième guerre mondiale, le «Félix Roussel» sert de transport de troupes entre différentes régions de l’Empire britannique. En escale à Singapour lors de l’invasion de la cité par l’armée japonaise, en février 1942, il est attaqué par des bombardiers japonais et ses canons anti-aériens abattent deux avions mais le bateau est touché par deux bombes. Le 7 février 1942, le navire réussit à embarquer 1100 femmes et enfants, rapatriés de Singapour aux Indes. En 1950, pour ses services rendus pendant le conflit, le «Félix Roussel» recevra la Croix de Guerre.
En 1946, le « Félix Roussel » reprend son service sur la ligne d'Extrême-Orient des Messageries Maritimes. Il subit un grand carénage aux Chantiers de Dunkerque de juin 1948 à septembre 1950 puis, du 22 septembre 1950 au 24 avril 1955, il assure de nouveau la ligne Marseille-Saigon-Hong Kong-Japon.
En juin 1951, Jacques Guillermaz, attaché militaire auprès du consulat de France à Hong Kong, futur sinologue de renom, quitte Hong Kong pour rejoindre Paris, à bord du «Félix Roussel». L’accompagne dans ce voyage de retour vers la métropole le diplomate Robert Jobez, qui vient de passer cinq ans comme consul de France à Hong Kong , où il a ré-ouvert le consulat en 1946, après quatre années de fermeture du poste.
Vendu en avril 1955 et rayé des listes des navires français le 21 octobre 1955, le «Félix Roussel» est démoli à Bilbao en 1974. Le «Félix Roussel» fut un des derniers représentants de ces «paquebots vers l’Orient», qui laissèrent de profonds souvenirs à leurs passagers, amenés à vivre plusieurs semaines à leur bord. A la fin des années 50, la vente de ces navires correspond à l’arrêt des lignes maritimes lointaines et à l’entrée dans sa maturité du transport aérien.

CR.

Sources : www.frenchlines.com et Philippe Ramona, Paquebots vers l’Orient, Alan Sutton, 2001. Crédits photographiques : Philippe Ramona.

lundi 11 août 2008

Le Père Robert : prêtre, financier et visionnaire

Le Père Robert n’est pas un missionaire comme les autres. Outre ses activités religieuses, il s’est trouvé une âme d’homme d’affaire habile et de financier aux idées larges. Hong Kong était sûrement le lieu idéal pour exercer ses talents : il y est resté plus de 25 ans !
Léon Robert est né en 1866 près de Besançon et entre au service des Missions Etrangères en 1885. Très vite, il est envoyé en Extrême-Orient : c’est l’occasion d’un premier passage à Hong Kong comme Assistant Procureur, puis il devient Procureur à Shanghaï où il révèle un zèle et un dynamisme qui dépassent de bien loin ses attributions religieuses. Il fait construire la procure, participe à des journaux ou encore s’intéresse à l’urbanisme… En 1903, il est de retour à Hong Kong avec des responsabilités accrues; avec le titre d’économe général, toute l’administration des Missions passe par lui.
Synodes, conférences mais aussi journaux et industries, il est partout. Son objectif principal étant d’assurer la survie financière des Missions, il se lance dans une série d’investissements qu’il suit de près. Il est très proche du milieu des banques et de la finance. On le trouve dans le conseil d’administration du South China Morning Post où ses conseils avisés pour réaliser des économies le mènent à militer pour un déménagement du journal dans ses propres locaux, jusqu’ici loués. Le journaliste Robin Hutchinson raconte dans son ouvrage SCMP – The first eighty years, «It was good advice which the SCMP almost took in 1905, when Fr. Robert very nearly nailed down a deal which would have moved production of the paper to North Point. The far-sighted Father would have saved the Morning Post three major moves in its lifetime, and would have made the company Croesus-rich in real estate terms. Alas, the deal fell through, partly through the Reverend Father trying to drive too hard a bargain, and partly because of the procrastination of the directors, lacking the same vision as the French missionary». Les Missions étrangères détiennent des parts du journal pendant 60 ans ! Le Père Robert est également l’un des directeurs de la Humphreys Estate and Finance C°, de la Head Waters mining C° ou encore de la Dairy farm C°… De 1914 à 1924, son nom apparaît régulièrement parmi les gestionnaires de la HSBC et les archives du Consulat de France de l’époque le disent investi dans la succursale d’une banque française à Hong Kong, sans que l’on puisse en connaître le nom.
Son œuvre ne se limite pas aux finances. En 1918, il édifie une nouvelle procure pour Hong Kong, un magnifique bâtiment de style victorien en plein centre de la ville. Il s’agit aujourd’hui de la Cour d’appel dans le Hong Kong park sur Queensway road… c’est d’ailleurs une autre histoire sur laquelle nous reviendrons !
Il devient Grand officier du dragon d’Annam, une distinction donnée par la colonie indochinoise, puis il est décoré de l’Epi d’or par la République chinoise et, en 1921, il est fait chevalier de la Légion d’honneur. Dans la foulée, et toujours à Hong Kong, une assemblée générale le bombarde premier assistant du Supérieur général.
Il rentre en France en 1929 et devient Supérieur général en 1935. Jusqu’en 1945 il parcourt inlassablement les Missions et continue à poser son empreinte sur toutes les activités des Missions : une marque neuve et dynamique, un esprit moderne et actif. A 80 ans, fatigué, il demande à être mis en congé et s’éteint en 1956.
FD.

Sources et crédits photographiques : Archives des Missions Etrangères de Paris.

jeudi 7 août 2008

4 août 1938 : première liaison commerciale d’Air France

Le 4 août 1938, Air France réalise la première liaison commerciale aérienne entre la France et Hong Kong. Le voyage prend six jours et s’effectue à bord d’un trimoteur Dewoïtine 338. A cette époque, le transport aérien lointain relève encore de l’aventure et la nouvelle ligne est l’héritière de la «ligne Noguès» d’Air Orient. En 2008, 70 ans plus tard, la ligne Paris Hong Kong demeure une des lignes les plus dynamiques de la compagnie française.
Le 4 août 1938, un appareil d’Air France atterrit à Hong Kong sur l’aéroport de Kai Tak et réalise ainsi la première liaison commerciale entre la France et Hong Kong. La ligne d’Air France est l’héritière de la ligne d’Air Orient qui, au début des années 30, permettait déjà de voyager de France en Indochine puis de poursuivre le périple jusqu’à Hong Kong.
La première liaison aérienne régulière entre la France et l’Asie fut en effet assurée par la compagnie Air Orient, fondée en 1930 et dont l’emblème, l’hippocampe ailé, allait être adopté par Air France. Cette ligne vers l’Extrême-Orient est alors connue comme la «ligne Noguès», du nom de son fondateur, le pionnier de l’aviation Maurice Noguès. Ce dernier, aviateur confirmé et héros de la Première guerre mondiale, devient en 1927 directeur technique de la compagnie Air Union-lignes d'Orient, AULO, spécialisée dans les voyages aériens vers l’Orient et qui, après sa fusion avec Air Asie, donnera naissance à Air Orient. Le projet de celui que l’on a surnommé le «Mermoz de l’Orient» est de mettre en place un service aérien régulier vers l’Indochine afin de concurrencer le voyage maritime, qui prend alors trente jours.
Le lancement de la ligne aérienne vers Hong Kong se fera en plusieurs étapes. Il s’agit d’abord, en juin 1929, de l’inauguration des vols réguliers de Marseille vers Beyrouth. L’étape suivante, c’est le saut du Moyen-Orient vers l’Asie, vers l’Indochine. Le voyage inaugural, avec Maurice Noguès aux commandes, a lieu en 1931: départ de Marseille, le 17 janvier, à bord d’un hydravion CAMS 53, escale à Tripoli et changement d’avion pour un Farman 300 puis décollage pour Karachi; nouveau changement d’appareil, pour un Fokker VII et dernier saut pour Saigon, le tout en douze jours! A la suite de ce premier vol, un service hebdomadaire est mis en place de Marseille à Saigon, en dix jours et demi de vol et avec dix-sept escales. Maurice Noguès trouvera d’ailleurs la mort lors d’un voyage retour de la ligne d’Indochine, le 15 janvier 1934 quand son avion Dewoitine 332 Emeraude s’écrasera dans le Morvan, en route pour le Bourget.
En octobre 1933 la compagnie Air France naît de la fusion de cinq compagnies aériennes, la S.G.T.A., la C.I.D.N.A., Aéropostale, Air Orient et Air Union. Air France reprendra la ligne vers Saigon d’Air Orient, ligne qui permettait déjà un prolongement vers Hong Kong, en changeant de compagnie aérienne et en empruntant un appareil de la compagnie britannique Imperial Airways lors de l’escale de Bangkok ou à l’arrivée à Saigon. La rationalisation des réseaux et des matériels d’Air France, compagnie de 259 appareils de 31 types différents lors de sa création, permet d’introduire dans la flotte les avions français les plus performants de l’époque, dont, en 1938, le Dewoïtine 338, élégant trimoteur à trains rétractables, commandé à 31 exemplaires par Air France et qui autorise des vols entre deux escales de près de 2000 km.

Caractéristiques du trimoteur Dewoitine 338
Moteurs : 3 x 575 chevaux
Envergure : 29,40 m
Longueur : 22,15 m
Poids total max. : 11800 kg
Vitesse max. : 320 km/h
Vitesse de croisière : 280km/h
Autonomie : 2000 km
Nombre de passagers : 22 mais les avions affectés sur la ligne d’Extrême-Orient, en version long courrier de luxe et fauteuils-couchettes, n’emportent que 12 passagers.

L’introduction de cet appareil moderne sur le réseau d’Air France en Asie va alors permettre de réduire le nombre d’escales, d’éviter le changement d’appareil et de raccourcir la durée du voyage sur la ligne Paris-Saigon, réduite de moitié et qui passe ainsi à six jours en 1938. La ligne Marseille-Saigon est ouverte en janvier 1938 et six appareils y sont affectés. Le prolongement de la ligne de Saigon, puis Hanoi, vers Hong Kong, sans changement de compagnie devient alors facilement envisageable. Le tronçon Saigon-Hanoi, de 1200 km, est d’ailleurs le plus long du voyage. La dernière étape, entre Hanoi et Hong Kong, longue de 870km ne présente pas de difficultés particulières et l’autonomie du Dewoitine 338 offre des conditions de sécurité satisfaisantes. Le voyage s’effectue cependant après 18 escales: Naples, Corfou, Athènes, Castellorizo, Tripoli du Liban, Damas, Bagdad, Bouchir, Djask, Karachi, Jodhpur, Allahabad, Calcutta, Akyab, Rangoun, Bangkok, Saigon, Hanoi.
Le premier vol a donc lieu le 4 août 1938, à bord du trimoteur F-AQBF «Ville de Vientiane», avec quatre passagers. Les vols hebdomadaires continueront ensuite pendant près de deux ans. La liaison s’interrompt en effet en juin 1940, du fait de l’Armistice. Après guerre, les vols Paris Hong Kong, via Saigon, démarrent en 1947, avec des Douglas DC3 et leurs 20 passagers. Dans les décennies qui suivent, le progrès technique et la maturité du transport aérien vont permettre à la liaison Paris Hong Kong de gagner en vitesse, en capacité et en fréquence des vols. Au DC3 succèdent ainsi dans les années 50 les Lockheed Constellation puis Super Constellation (100 passagers). A partir de 1960, c’est l’ère du réacteur avec la mise en service du Boeing 707 (150 passagers) et Hong Kong est desservie par 3 vols hebdomadaires. Les premiers vols sans escale ont lieu en 1991 sur Boeing 747 (400 passagers) et le vol Paris Hong Kong devient quotidien en 1993. En 2008, 70 ans après la première liaison commerciale de la compagnie, deux vols quotidiens d’Air France desservent Paris et Hong Kong dans les deux sens avec des Boeing 777 et transportent chaque année plus de 300 000 passagers. En 2010 atterrira à Hong Kong le nouvel Airbus A380 aux couleurs d’Air France, avec plus de 550 passagers, lointain descendant du Dewoïtine 338 avec ses quatre passagers du vol inaugural.
CR.
Sources : Air France, Musée Air France, revues aéronautiques spécialisées.

lundi 4 août 2008

Le comte de Beauvoir découvre Hong Kong, la Chine et… sa cuisine.

En 1867, le comte Ludovic de Beauvoir débarque à Hong Kong , première étape d’un long périple en Chine. Il découvre le port de Victoria, la ville et sa population animée, ses rues tortueuses et le Peak. C’est aussi pour lui la première occasion de goûter à la cuisine chinoise et cette expérience initiatrice lui laisse un goût très amer!
Le 9 avril 1866, partis de Londres, le comte Ludovic de Beauvoir (1846-1929) et le duc de Penthièvre entreprennent un voyage autour du monde qui, fin 1866, après l’Australie, les a amenés au Siam. Début 1867, ils arrivent à Hong Kong au moment des festivités du Nouvel An chinois et ils entament ainsi un long périple en Chine, qui les conduira ensuite à Macao, Canton, Shanghai, Pékin et à la Grande Muraille.
Leur navire, après avoir franchi la passe de l’Est, pénètre dans la baie de Victoria et le spectacle décrit par Ludovic de Beauvoir est d`une étonnante actualité : «Rien de joli et d’imposant à la fois comme d`arriver dans l’obscurité à une rade aussi calme que celle de Hong Kong. De toutes parts des roches hardies, de hautes montagnes, encadrent un véritable lac à l’abri contre les vents déchaînés ; sur leurs flancs sont échelonnées en amphithéâtres toutes les maisons brillamment éclairées des marchands anglais qui, en vingt-cinq ans, ont déjà formé une grande ville. Des milliers de lumières se détachent sur ce fond grandiose». Le comte et le duc vont être logés chez le Gouverneur de l’île, Sir Charles Mac Donnell, et pour se rendre à son palais, ils doivent quitter le bord et utiliser les services des batelières qui accostent le navire, «portant un baby (sic) ficelé dans le dos par une écharpe». Le comte de Beauvoir décrit ensuite «le spectacle d’une tapageuse animation dans les rues», la foule des «coulies chinois (qui) se heurtent et se disputent», les «riches négociants du Céleste Empire (qui) y fourmillent, trottant dans leurs bottes de toile blanche en cachant leurs bras dans leur casaquin bleu de ciel». L’accès au palais se fait en empruntant les «rues qui ressemblent à des montagnes russes, quand elles ne sont pas d’interminables escaliers, et souvent des échelles taillées dans le granit». Le Gouverneur emmène ses invités, en palanquins, au sommet du «pic le plus élevé de l’île de Hong Kong, appelé Victoria Peak (1825 pieds), d’où la vue s’étend sur l’archipel des îles environnantes et, au loin, jusqu'à la grande mer. Mais quelles terres pelées et dénudées que ces premières côtes de la Chine ! Quel chaos de roches grisâtres et de montagnes désertes !». La première impression du voyageur est celle d’un émerveillement : «si Bangkok est l'image asiatique de Venise, la ville de Hong Kong, appliquée comme un rideau sur une pente rocheuse et escarpée, nous semble être la Gênes de l'Extrême Orient».
Le soir, le Gouverneur invite les voyageurs à dîner mais, «au lieu de nous servir le festin préparé par son cuisinier français, réputé excellent, (il) nous donne dans le plus chinois des restaurants de la ville chinoise, chez Han-Fa-Loh-Chung, dans Taeping-Schan, un vrai souper de mandarin» : intéressante précision fournie par le comte de Beauvoir, qui nous révèle ainsi que, en 1867 déjà, un cuisinier français, et qui plus est cuisinier du Gouverneur anglais, contribuait à la réputation de la cuisine française à Hong Kong ! Le dîner se tient «aux sons des violons à une corde et des tambourins de quatre jeunes chinoises rieuses et peintes». Chaque convive a «deux bâtonnets d’ivoire, en guise de fourchettes et de couteaux».
Selon la bonne tradition culinaire chinoise, la liste des mets servis est impressionnante et comporte plus de quinze plats. «Voici le menu textuel et l’ordre de notre festin : fruits confits – œufs de poisson glacés dans du caramel – amandes et raisins – ailerons de requins sauce gluante – gâteaux de sang coagulé – hachis de chien sauce au lotus – soupe de nids d’hirondelles – soupe de graines de lis – nerfs de baleine, sauce au sucre – canards de Kwai-Poh-Hing, – ouïes d’esturgeon en compote – croquettes de poisson et de rat tapé – soupe à la graisse de requin – compote de bêche-la-mer et de tétards d’eau douce (…) – ragoût au sucre composé de nageoires de poisson, de fruits, de jambon, d’amandes et d’arômes – soupe aux lotus et aux amandes comme dessert». Le repas est arrosé de «vin rose, très médicinal, et le sam-chou, eau-de-vie de riz tiède et écoeurante». Et, à ce moment du récit du comte de Beauvoir, tombe la sentence sur ce premier repas chinois : «ce dernier mot, je puis le donner comme adjectif qualificatif à chacun des mets que nous avons tenté d’introduire dans nos solides estomacs. Il me semble qu’avec un grand pot de gélatine, des abatis de volailles, des balayures de la boutique d’un droguiste, et un fond de tiroir de pharmacie, j’arriverais à vous reproduire, à mon retour, l’ensemble antigastrique qui s’appelle un dîner purement chinois». Jugement très sévère et quelque peu préoccupant de la part d’un voyageur qui goûte à la cuisine chinoise dès le premier jour de son arrivée en Chine, pays dans lequel il s’apprête à passer plusieurs mois !
Le comte poursuit en effet son voyage en Chine. Il est à Shanghai en mars 1867, puis au Japon, avant de traverser l’Océan Pacifique et d’atteindre San Francisco. Le récit de son voyage, paru en 1869 dans Voyage autour du Monde, connut un grand succès et fut réédité à plusieurs reprises. Il y commente certaines de ses expériences culinaires mais aucune n’a le goût très particulier de son premier repas chinois pris à Hong Kong…

CR.

Sources et photo : Voyage autour du Monde, tome II : Java, Siam, Canton, Henri Plon, Paris, 1869. Réédité par Kailash, Paris, en 1998.
Remerciements à M. Yves Azémar et son inépuisable librairie d'ouvrages anciens sur l'Asie, 89 Hollywood road - Hong Kong.