jeudi 31 juillet 2008

1893 : record de froid à Hong Kong!

Au cours de l’hiver 1893, des températures exceptionnellement basses sévissent à Hong Kong. Le Consul de France s’en émeut et informe le Quai d’Orsay mais aussi l’Académie des Sciences de ce phénomène météorologique.
Lors de l’hiver 2008, un record qui tient depuis 1968 a failli tomber : celui du nombre de «jours froids» enregistrés par l’Observatoire météorologique de Hong Kong. Cet établissement, le Hong Kong Observatory, fondé en 1883 par la Royal Society, enregistre en effet méticuleusement depuis 1885 les températures relevées en différents lieux du territoire. En 2008, 31 «jours froids» ont ainsi été recensés, contre 8 en 2007 et 13 en 2006. Le mois de février connut 18 «jours froids», contre 0 en février 2007 et 1 en 2006. L’année 2008 a donc été une année particulièrement froide à Hong Kong et dans le sud de la Chine et ceux qui y ont passé l’hiver pourront le confirmer, les températures ayant avoisiné parfois les 3°C ou 4°C.
Le phénomène n’est pas nouveau. 1893 fut en effet aussi une année très froide, avec 30 «jours froids», dont 16 en février, contre 18 «jours froids» en 1892 et 5 en février de la même année. Mais il faut savoir que, à Hong Kong, un «jour froid» est un jour pendant lequel des températures inférieures à… 12°C sont enregistrées ! Tel est le critère en effet retenu par le Hong Kong Observatory. Or, si une succession de jours à 11°C peut être qualifiée de période à «jours froids» selon cette norme du Hong Kong Observatory, elle ne saurait avoir le même impact qu’une période de même durée, voire plus courte, pendant laquelle des températures plus sévères, proches ou inférieures à 0°C seraient relevées.
C’est bien ce qui s’est passé en 1893 et le Consul de France de l’époque, Georges-Félix Gueyraud, a tenu alors à informer le ministère des Affaires étrangères mais aussi l’Académie des Sciences «sur un phénomène météorologique sans précédent connu à Hong Kong», titre de sa dépêche du 6 février 1893.
Le Consul note que des températures «au-dessous de 0°C» ont été relevées du 16 au 18 janvier 1893 et il s’agit là d’un «phénomène sans précédent connu, dit-on, depuis l’occupation de Hong Kong par les Anglais en 1841». Cette «île (est) située cependant sous les tropiques» et le caractère exceptionnel de telles températures sous cette latitude le conduit à en informer l’Académie des Sciences, à qui il fait parvenir des documents météorologiques recueillis auprès du Hong Kong Observatory, fondé seulement 10 ans plus tôt.
Outre ces documents scientifiques qu’il transmet à Paris, Georges-Félix Gueyraud fournit dans sa dépêche une description détaillée de cette période de trois jours de froid exceptionnel, utilisant d’ailleurs, dans la même lettre, degré centigrade et degré Fahrenheit, mètre et pied. «Les températures basses», note-t-il, ont sévi «non seulement sur les hauteurs du Peak, (point culminant, 1875 pieds), où le thermomètre est tombé à 28 Fahrenheit (NdA : température correspondant à –2,2 ° C) au moins, mais aussi bas que 400 pieds environ au-dessus du niveau de la mer où j’ai personnellement relevé –1,5° centigrade à l’Observatoire, établissement situé sur la presqu’île de Kowloon et à 25 à 30 mètres à peine au-dessus du niveau de la mer». Événements exceptionnels à Hong Kong, «la gelée blanche et la glace se sont produits plus bas que la cote de 400 pieds» et «les arbres et les fils télégraphiques (sont) couverts de givre». Le commerce ne perd alors pas ses droits et le Consul de France note ainsi que «des Chinois vendaient dans la basse ville des rameaux couverts de glaçons qu’ils étaient allés cueillir sur la hauteur», manifestation «éphémère mais typique de la rareté du phénomène».
Les températures très basses et exceptionnelles ont bien sûr des conséquences sur les gens et sur la nature. Georges-Félix Gueyraud relève que, pendant trois jours, «il a été presque impossible de trouver à louer dans les rues des chaises à porteur, les malheureux coolies… se tenant tapis» dans leur logement où, ils s’entassaient, certes, mais où ils pouvaient au moins avoir «à peu près chaud».
La végétation a aussi été touchée par ce «froid extraordinaire, sans précédent» et le Consul de France y consacre une autre dépêche, en date du 15 mars 1893, communiquée aussi à l’Académie des Sciences et basée sur les renseignements recueillis auprès du «savant Directeur» (sic) du Jardin Botanique de Hong Kong. Le Consul y souligne que les effets du froid ont été «désastreux non seulement pour les plantes exotiques telles que celles originaires de l’Inde, mais même pour des plantes appartenant exclusivement à la flore de Hong Kong, comme les Ficus Harlandi, Gardenia Anomala et Gardenia, Oblongifolia, dont plusieurs espèces ont péri».
Et, comme en 2008, le froid sévère a touché non seulement Hong Kong mais aussi Canton et le Consul de France termine sa dépêche du 15 mars en précisant que, à Canton également, «le dommage est considérable, notamment dans les plantations de bananes qui sont ruinées».

CR.

Photo: l'observatoire météorologique de Hong Kong à la fin du XIXe siècle.
Sources : Archives du ministère des Affaires étrangères, Nantes - Hong Kong Observatory.

lundi 28 juillet 2008

Alexandre Yersin découvre le bacille de la Peste

En 1894, un jeune médecin de l’équipe de Louis Pasteur débarque à Hong Kong. Sans le sou et isolé, il travaille dans des conditions difficiles et parvient à une découverte capitale : l’identification du bacille de la Peste ! Alexandre Yersin, médecin et humaniste, vient d’entrer dans l’Histoire…
En France dans les années 1880, le jeune Alexandre Yersin travaille sur la tuberculose et la diphtérie, sous la direction du docteur Emile Roux, l’un des plus proches collaborateurs de Pasteur. Promis à un avenir brillant dans les laboratoires français, il décide, brusquement, de partir vers de nouveaux horizons. Il est happé par le large et devient médecin pour la compagnie des Messageries Maritimes avant de rejoindre le Corps de Santé militaire des colonies.
En 1894, une terrible épidémie de Peste frappe la Chine. Alexandre Yersin revient à la bactériologie et s’installe à Hong Kong. Sans le sou et isolé de la communauté scientifique britannique, il emménage dans une paillote de fortune aux alentours de Kennedy town. Il travaille dans des conditions déplorables et parvient, en quelques jours, à une découverte incroyable : il isole le bacille de la Peste !
La lettre qu’il adresse à sa mère en 1894, mérite d’être reproduite en intégralité tant elle est un témoignage précieux et intéressant de la vie du chercheur à Hong Kong.

«Chère maman,
Je suis sûre que tu dois être un peu anxieuse de recevoir cette lettre, me sachant dans un endroit où l'on n'irait pas précisément faire aujourd'hui un voyage d'agrément! Après être resté quelques jours à l'hôtel, je me suis fait construire une paillote à côté de l'hôpital des pestiférés et j'ai établi là mon domicile et mon laboratoire. Tout cela n'a pas été sans peine et si je n'avais pas eu le bonheur de découvrir un brave missionnaire catholique qui a bien voulu m'accompagner partout et me servir d'interprète, je ne sais pas comment je me serais tiré d'affaire! Le missionnaire s'appelle le père Vigano; Voilà 30 ans qu'il réside à Hong Kong aussi il connaît tout le monde. J'ai déjà pu étudier une douzaine de cas et il ne m'a pas été difficile de retrouver le microbe qui pullule dans le bubon, dans les ganglions lymphatiques, la rate etc. C'est un petit bâtonnet un peu plus long que large et qui se colore difficilement. Il tue les souris, les cobayes avec les lésions de la peste. Je le retrouve toujours; Pour moi il n'y a pas de doute. J'envoie à l'institut Pasteur par ce courrier un certain nombre de petits tubes scellés contenant de la pulpe de bubons de peste. On va pouvoir donc commencer à Paris l'étude de la maladie. Ici je suis très limité dans mes expériences car mon laboratoire est fort mal monté. Hong Kong est une ville très pittoresque, bâtie au bord de la mer sur le flan d'une montagne abrupte de 600 mètres, les maisons sont étagées jusqu'au sommet. La population chinoise est de plus de 200 000 âmes. Elle est aujourd'hui réduite de moitié à cause de l'émigration provoquée par la peste. On est en pleine saison des pluies, il tombe de vrais déluges d'eau et à la suite de chacune de ces violentes averses, il y a un redoublement de l'épidémie. La mortalité est très forte, 95% des cas. Jusqu'à présent 3 Anglais seulement ont été frappés. Je ne compte pas les Portugais, il y en a beaucoup plus. Je tâcherai un de ces jours de faire une petite photographie de ma paillote avec moi devant et je te l'enverrai. Je continue à me très bien porter, un peu fatigué seulement, car étant seul je dois suffire à tout. J'aurais encore bien des choses à te raconter, mais il y a deux cadavres qui m'attendent, et ces Messieurs sont pressés paraît-il d'aller au cimetière. Adieu chère maman, lave-toi les mains après avoir lu ma lettre pour ne pas gagner la peste!

Ton fils aff.

A. Yersin»


La sérothérapie anti-pesteuse est mise au point avec succès dans les deux années qui suivent. La carrière scientifique de Yersin est définitivement lancée mais son amour pour l’Extrême-Orient le pousse à nouveau à mettre cap vers l’Indochine. Il fonde l’Institut Pasteur de Nha Trang, au Vietnam, et poursuit un brillant parcours de médecin mais aussi d’humaniste et d’explorateur… Le 1er mars 1943, Alexandre Yersin meurt à Nha Trang, il a 79 ans. Le professeur Noël Bernard rédige alors une nécrologie émouvante et passionnée qu’il conclut ainsi : «Son destin a été d’acquérir à 30 ans une notoriété mondiale, de recevoir les plus hautes distinctions, d’être investi des fonctions les plus honorifiques. Il disparaît au moment où des évènements sans exemple dans l’histoire des hommes bouleversent le monde, et la nouvelle de sa mort, prend une place, à travers les angoisses de l’heure, aux premiers rangs de l’actualité».

FD.

Sources : La Presse Médicale, 1er mai 1943, n° 17, rubrique nécrologie par Noël Bernard. Crédit photo : Institut Pasteur.

mercredi 23 juillet 2008

Auguste Garnier, espion malgré lui ?

Dans les années 30, un entrepreneur français s’installe à Hong Kong. Il est rapidement mêlé à une affaire d’envergure avec un général chinois qui souhaite développer les infrastructures du Sud de la Chine. Superbe opportunité ou résultat d’une activité souterraine? Le doute plane jusqu’à ce que le passé rattrape M. Garnier…
En décembre 1936, Auguste Garnier arrive à Shanghai après un long voyage en Transsibérien. L’attaché commercial de ce poste s’étonne de cet étrange personnage. En effet, Garnier dit être associé dans un «Trust Belge-Français» mais entoure de mystère la nature exacte de ses activités et ne s’étend guère sur ses ambitions, ce qui agace le diplomate. En revanche, il affirme que le général chinois Wong-So, un proche de Chiang Kai-Shek formé par les Américains, s’est précipité à sa rencontre pour parler affaires… L’attaché commercial est suspicieux car, en outre, Garnier «se donne comme représentant accrédité -j’ignore auprès de qui- de l’Office national du commerce extérieur, organisme qui n’existe plus». Un rapport est rédigé pour le Consul de Hong Kong où l’entrepreneur a choisi de s’installer.
A l’Ambassadeur de France, Garnier écrit au même moment une longue lettre où il explique qu’il est venu sans mandat «pour étudier la question minière». Il raconte ensuite son entrevue avec le général, qui lui aurait confié ses projets pour l’aménagement du Sud et l’aurait choisi lui, tout fraîchement débarqué, pour jouer les intermédiaires avec la France. L’entrepreneur demande donc l’autorisation de se mettre en affaire avec lui ou, tout au moins, de ne pas rester à l’écart des investissements en préparation.
De son côté, le Consul de Hong Kong se renseigne à Paris sur cet individu: «a déjà résidé en Extrême-Orient, à Saigon et à Shanghai» mais aussi en Perse, «situation personnelle aisée», «il aurait derrière lui des appuis financiers sérieux». Garnier est Lieutenant de réserve et docteur en Droit. Par ailleurs, «lorsqu’il se trouve à Hong Kong, il mène une vie fort retirée» et a officiellement installé ses bureaux sur Des Vœux road. Les références sont bonnes et le Consul est donc bien disposé à son égard. Garnier voyage beaucoup entre la Chine du Sud, Hong Kong et l’Indochine et tisse rapidement un réseau dense de relations. Il explore de nombreuses régions et trouve un filon «d’antimoine oxyde», un composant métallique pour les alliages, «isolée au Nord de Kwangsi dans la région presque inaccessible des cent mille monts».
Parmi les actionnaires de sa société, il est des «personnalités chinoises qui souhaitent garder l’anonymat». L’Ambassade de France à Pékin semble douter de l’honnêteté de Garnier et le surveille de près. En mai 1937, la Sûreté Générale d’Indochine présente un rapport sur son affiliation «possible» à l’Intelligence service anglais ! Garnier nie et un autre service de l’administration indochinoise le disculpe : le soi-disant témoin clé de cette enquête est en France depuis des mois et n’est pas au courant de ses propres révélations !
Pendant ce temps, il commence l’exploitation de l’antimoine au profit d’une société londonienne et, soudainement, sa marchandise est bloquée à la frontière… par les autorités chinoises ! Il est alors accusé d’être «un communiste militant» contre le gouvernement nationaliste. Il lui faut des mois de diplomatie en Chine pour lever les soupçons et remettre son entreprise minière sur pied.
En janvier 1938, un nouveau bruit se répand : Garnier est «un espion au service du Japon». Il rentre à Hong Kong dépité où il apprend que, là aussi, aux yeux de la communauté française, il est un militant communiste. Le Consul diligente une enquête et deux hypothèses s’imposent : les rumeurs viennent de personnes mal intentionnées en Indochine ou bien il est réellement espion au service d’une entité étrangère, mais laquelle ? Ses affaires continuent tant bien que mal jusqu’à la guerre. Rayé des cadres de l’armée en juillet 1937, on retrouve tout de même Auguste Garnier en Indochine en 1939, dès les premiers jours de la mobilisation générale. Il est prêt à partir au combat…

FD.

Sources: Centre des Archives Diplomatiques de Nantes.

jeudi 17 juillet 2008

Une comtesse sur le "Peak"

Marguerite du Bourg de Bozas est la femme de l’explorateur du même nom. Alors que celui-ci entreprend un tour du monde d’exploration en 1900, l’intrépide comtesse décide de faire partie du voyage. Armée d’un appareil photo, elle tient un journal très vivant et coloré.
Le 28 décembre 1900, les époux du Bourg de Bozas quittent Marseille en direction de l’Asie. Les escales sont nombreuses et après Singapour vient Hong Kong. «Dans le port, plusieurs navires de guerre battant pavillon anglais sont à l’ancre ; à côté, de nombreux sampans, sur lesquels habite une population bruyante d’indigènes. Comme fond à ce spectacle animé, des montagnes aux lignes capricieuses, au milieu desquelles le pic de Hong Kong s’élève majestueusement, dominant la ville».
La comtesse se cultive dès son arrivée. Elle raconte l’histoire de l’occupation de Hong Kong par les Anglais comme un épisode «assez curieux». Dans son long récit, il n’y a pas une goutte de sang ; elle semble oublier la guerre de l’opium et conclue qu’en «en 1842, à la suite de pourparlers souvent orageux, l’île de Hong Kong est cédée aux Anglais».
«Une grande animation règne dans l’artère principale. Européens et Célestes vont et viennent, très affairés. Queen’s road est une large avenue bordée de nombreuses boutiques anglaises et chinoises ; elle est le centre, le boulevard des Italiens de la ville. Les rickshaws y circulent avec rapidité, traînés par des Chinois infatigables ; des coolies portent des sedan chairs, dans lesquelles sont mollement étendus des Européens ou des Célestes en costume de soie brochée». La comtesse, comme beaucoup de voyageurs, est intriguée par «les policemen punjab» ces détachements de policiers Indiens, connus et réputés pour leur physique athlétique et leur fermeté au travail. «Au milieu de cette agitation, [ils] se promènent gravement en uniformes sombres et coiffés de turbans écarlates ; avec leurs yeux noirs étincelants, leur visage osseux aux traits heurtés». Marguerite du Bourg de Bozas s’attarde sur le comportement des Chinois : «leur sens des affaires, leur activité, leur souplesse, sont autant d’éléments de succès dans une ville commerciale comme Hong Kong, où nombre des leurs ont fait fortune».
Puis son attention est de nouveau attirée par le Pic ; elle explique que c’est l’endroit le plus frais et le plus ventilé de la ville lorsque les chaleurs estivales sont accablantes. C’est pourquoi les Européens y font construire leur maison. «Nous avons fait l’ascension de cette montagne en tramway électrique. Au premier abord, on éprouve la sensation de monter lentement, graduellement, sans secousse ; mais bientôt le tramway se redresse brusquement et, bien que la côté soit très rude, il monte avec rapidité ; on ressent pendant ce voyage une impression désagréable. De plus, le système de traction n’est pas à crémaillère : qu’un accroc se produise, et nous sommes précipités en bas et pulvérisés !» Après ces émotions, la valeureuse comtesse admire le paysage.
Et au retour en ville, une séance de shopping s’impose… «En Europe, les cafés et les restaurants abondent : en pays chinois, ce sont les pâtisseries, et j’en vois tout le long des voies que nous suivons. On me montre des gâteaux aux pastèques, des tartelettes de nids d’hirondelles au sucre, des graines de melons noirs que les Chinois seuls savent ouvrir, des olives, des mangos, espèce de fruit qui ressemble au melon sans en avoir le parfum, et des morceaux de canne à sucre arrangés si habilement qu’ils attirent les regards brillants de convoitise des Célestes».
Vient ensuite une balade dans Happy valley… «La vallée heureuse est la promenade favorite des Européens […] nous nous trouvons sur une route bordée de prés verdoyants. A droite, s’étend le cimetière européen, qui, au premier abord, semble un vaste parc où les arbres et les fleurs ont été plantés à profusion». Prise de mélancolie, la comtesse s’épanche sur les tombes dans une réflexion sur les malheurs de la colonisation. Pour elle, beaucoup d’Européens courent après des mirages dans des pays certes riches «mais où l’initiative et l’effort personnel sont nécessaires plus que partout ailleurs».
FD.

Photographies de Marguerite du Bourg de Bozas, tirées de son livre Mon tour du monde, 1903.



Remerciements à M. Yves Azémar et son inépuisable librairie d'ouvrages anciens sur l'Asie, 89 Hollywood road - Hong Kong.

mardi 15 juillet 2008

La France décide d’établir une représentation officielle à Hong Kong

15 juillet 1848 – 14 juillet 2008. Lors de la réception officielle du 14 juillet 2008, le Consulat général de France a lancé les célébrations des 160 ans des relations entre Hong Kong et la France. Ces liens officiels débutent en effet quand, le 15 juillet 1848, le chargé d’affaires en Chine recommande au ministère des Affaires étrangères de la IIe République de nommer un agent consulaire à Hong Kong, territoire appelé, à ses yeux, à jouer un rôle central en Chine et en Asie.
Le 15 juillet 1848, le baron Alexandre Forth-Rouen, «Envoyé et Chargé d’affaires en Chine», en poste à Canton, où il a été nommé pendant la Monarchie de Juillet par Louis-Philippe, Roi des Français, envoie une dépêche au ministre des Affaires étrangères de la nouvelle IIe République, Jules Bastide qui, quelques mois plus tôt, a succédé à ce poste à Alphonse de Lamartine. Dans sa lettre du 15 juillet 1848, le baron Forth-Rouen, diplomate dynamique et tenace à qui la France doit la création de son réseau consulaire en Chine, expose sa vision de l’avenir de la présence française dans le Sud de la Chine : «… en outre, Hong Kong étant le point d’arrivée et de départ des malles d’Europe, il y aurait grand avantage à ce que notre agent consulaire pût être placé à ce point central de l’arrivée et de l’expédition de la correspondance entre la station navale et le ministère de la Marine et entre le Département des Affaires étrangères, la légation de Canton et l’agence de Shanghai».
Dès 1848, le chargé d’affaires en Chine reconnaît et met en relief les rôles de Hong Kong comme carrefour en Asie, point d’entrée en Chine et nœud de communication, c’est-à-dire comme «hub» dirions-nous aujourd’hui! Cette dépêche du 15 juillet 1848, écrite il y a exactement 160 ans, représente donc la première mention officielle de Hong Kong comme élément clé de la présence diplomatique française en Chine. La IIe République, proclamée quelques mois plus tôt le 24 février 1848, devant la colonne de la Bastille, se rangera aux arguments du baron Alexandre Forth-Rouen et nommera, l’année suivante, un agent consulaire à Hong Kong.

CR.

jeudi 10 juillet 2008

1847, le Père Libois déménage à Hong Kong

Les Missions Etrangères de Paris (MEP) sont installées en Chine depuis 1685. Le procureur général est d’abord domicilié à Canton puis se déplace à Macao en 1732. Le Père Libois est l’artisan visionnaire d’un ultime déménagement vers Hong Kong, en 1847.
Depuis des siècles, les missionnaires catholiques européens arpentent l’Asie pour assurer l’expansion de leur religion. Les Missions Etrangères de Paris (MEP) essaiment leur lot de prêtres depuis leur Procure asiatique, sorte de quartier général. D’abord à Canton en 1685, cette base administrative est déplacée à Macao en 1732. La colonie portugaise est alors florissante et accueille les religieux de toutes les nationalités. C’est un puissant centre culturel et religieux.
Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, le vent commence à tourner. A Macao, les tracasseries administratives se multiplient à mesure que l’empire lusitanien voit son influence diminuer dans la zone. Seuls les missionnaires portugais y sont en odeur de sainteté… Les autres sont ennuyés dans leurs démarches, empêchés d’atteindre leurs objectifs. En 1834, le Père Legrégeois, responsable de la Procure, doit même se résoudre à quitter Macao. Il part à Goa, plaider sa cause devant le Vice-Roi des Indes portugaises. Les relations se détendent mais restent froides. Où les Missions pourraient-elles envisager un avenir plus serein ?
Lorsque le remplaçant du Père Legrégeois arrive, en 1842, la situation n’a pas évolué. Le jeune Père Napoléon Libois, dont c’est la première affectation, voit immédiatement le potentiel de Hong Kong. Ces îles sont alors la possession des Anglais depuis un an à peine… C’est pour le nouveau procureur général un emplacement idéal, une opportunité à saisir ! Il multiplie les lettres pour convaincre sa hiérarchie, en imaginant pour Hong Kong un avenir économique radieux. Pour lui, le lieu est donc stratégique. En 1846, le Père Libois annonce l’acquisition d’un terrain à Hong Kong pour y bâtir une maison et y transporter son domicile. Il atteste encore de «graves inconvénients à rester à Macao qui est dans une complète décadence et n’offre plus assez de sécurité». D’ailleurs, le Père doit régulièrement faire le trajet jusqu’à la colonie britannique puisque «de nombreuses affaires» l’y appellent.
Le 24 mars 1847, le déménagement est officiel. Le Père Libois s’atèle alors à l’organisation du réseau et à son financement. Grâce à lui, Hong Kong devient rapidement le centre incontournable des MEP pour toute l’Asie. Il sert d’intermédiaire entre les évêques et l’Europe, accueille de nombreux hôtes prestigieux lors de leur passage et est réputé pour sa diplomatie et sa clairvoyance.
Le Père Napoléon Libois occupe son poste jusqu’en 1866, date à laquelle il est nommé procureur des MEP à Rome. Une fin de parcours avec les honneurs… Il meurt à Rome en avril 1872, en laissant derrière lui une solide structure pour l’œuvre des missionnaires français en Asie.
FD.

Photos : archives des Missions Etrangères de Paris.

samedi 5 juillet 2008

François de Plas, marin et jésuite en mer de Chine

Le capitaine de frégate François de Plas est à la fois officier de marine et jésuite. Entre 1851 et 1858, il commande deux missions de surveillance de la mer de Chine. La première le conduit à bord de la corvette à vapeur «Cassini». Il découvre Hong Kong.

En 1888, le Commandant de Plas meurt à Brest. Sa disparition crée un vif émoi parmi les officiers de marine et chez les jésuites. Après 45 ans de carrière dans la Marine et dans la Compagnie de Jésus, l’homme est salué comme un exemple. Le Révérend Père Mercier entreprend alors sa biographie. En réunissant des lettres du marin adressées à sa mère et des rapports de l’officier à sa hiérarchie, l’auteur compose le portrait d’un homme à la fois droit et sensible.
Début octobre 1851, le «Cassini» arrive à Hong Kong. Le marin y repère immédiatement «vingt-trois navires de commerce et deux bâtiments de guerre, une corvette et un brick». Puis il s’attarde sur le paysage qui s’offre à lui : «Hong Kong, vu de la rade, présente un aspect très pittoresque. Cette petite île ne donnait autrefois asile qu’à de pauvres familles de pêcheurs chinois ; elle possède maintenant près de quarante mille habitants. La ville de Victoria, fondée depuis dix ans à peine, au moment de l’occupation des Anglais, renferme déjà plus de dix mille habitants. Elle est située sur le penchant d’une haute montagne, au pied de laquelle on aperçoit de fort belles maisons. La grande rue, sur le bord de la mer, dans le quartier européen, est formée des deux côtés de vastes magasins entrecoupés de distance en distance par de véritables palais. La rade est sûre, le port profond, en sorte que Hong Kong, malgré l’insalubrité de son climat en été, aura bientôt ruiné le commerce de la colonie portugaise de Macao, île voisine et rivale.».
François de Plas continue à naviguer entre Macao et Hong Kong. Il reçoit parfois des nouvelles de France où les dérives monarchiques de Louis-Napoléon Bonaparte inquiètent. Quelques mois plus tard, il raconte que la proclamation de l’Empire est accueillie sans enthousiasme par l’équipage. Lui est ouvertement favorable à ce retour d’un pouvoir fort. Il déplore au passage la situation en Chine, en proie aux révoltes contre les Qing : «La Chine me paraît tout aussi malade que notre pauvre France». Sa position est encore bien plus claire lorsqu’il reçoit à bord un diplomate français dont il tait le nom mais qui doit être Bourboulon, en poste à Macao. «J’ai une conversation assez vive avec le nouveau ministre (plénipotentiaire) qui me paraît être républicain fanatique. Il réclame l’émancipation de la pensée, la liberté illimitée de la presse… Que sais-je ? Je suis destiné à l’avoir à bord ; ma position vis-à-vis de lui sera nécessairement embarrassante ; enfin, Dieu y pourvoira». Les accrochages se multiplient effectivement. La République et l’Empire s’affrontent aussi en Mer de Chine !
L’un des plus beaux souvenirs du marin jésuite à Hong Kong semble être la célébration de la messe pour la Sainte-Barbe dans son bateau ; il ne peut s’empêcher toutefois de regretter les sarcasmes de ses hommes qui ne sont guère pieux. Il est assez peu friand de toutes les mondanités ; les repas chez l’agent consulaire Haskelt finissent systématiquement en houleuses conversations politiques… De Plas est bien plus à l’aise avec le protocole lorsqu’il rend visite au gouverneur anglais, au contre-amiral de Sa Majesté et, surtout, lorsqu’il est reçu par les Missions Etrangères.
En mai 1853, le «Cassini» est de retour dans les eaux de Hong Kong. Cette fois, le climat est moins cordial avec les autorités. «Le caractère d’imprévu que portent tous les actes de Louis-Napoléon me fait craindre qu’aujourd’hui, on se batte en Europe». Le conflit contre les Anglais est perçu comme imminent ; c’est le branle-bas de combat sur la corvette, les hommes sont prêts à ouvrir le feu contre la «Cléopatre» qui garde le port. Les nouvelles d’Europe arrivent lentement et partiellement. Prudent, De Plas fait mouiller son navire près de Macao. Rien ne se passe… pour cette fois.

FD.

Gravures tirées de "La campagne du Cassini" dans les mers de Chine, par le RP Mercier, 1889.

Remerciements à M. Yves Azémar et son inépuisable librairie d'ouvrages anciens sur l'Asie, 89 Hollywood road - Hong Kong.

mardi 1 juillet 2008

Paul Morand, une escale inquiète en 1925

De passage à Hong Kong en 1925, l’écrivain livre son analyse sur l’avenir du «rocher victorien», perdu au milieu des conflits de l’époque.
En 1926, Paul Morand publie Rien que la Terre, un récit de voyage épicé d’une plume alerte, aux descriptions vives et précises. L’année précédente, l’auteur de Tendres stocks ou La Fleur Double, futur académicien et à cette époque diplomate, était en route pour prendre ses fonctions de gérant de la légation de France à Bangkok. Pour arriver à destination, il s’était accordé trois mois de voyage en passant par les Etats-Unis, le Japon et la Chine. L’écrivain s’attarde quelques jours et quelques pages sur Hong Kong. Il arrive en pleine grève des coolies. Il est tout de même impressionné par la colonie britannique : «Encore une de ces clés du monde dont l’Angleterre devrait porter un trousseau comme emblème». Toutefois, «Hong Kong se rouille», empêtrée dans les conflits sociaux qui touchent le cœur et la raison d’être de la ville : le commerce. C’est pour le diplomate l’occasion d’une analyse sur l’avenir de la région. Pour lui, la Révolution en Chine est un facteur déterminant mais le rôle du Japon est primordial. Selon lui, c’est «une nouvelle phase des rapports millénaires de l’Occident et de la Chine, où le Japon joue son jeu mystérieux, isolé et attentif». Son étude le porte en avant, avec l’inquiétude d’un éventuel renvoi des Occidentaux hors de Chine, comme une juste récompense de leurs méthodes brutales. Il critique «la loi de la force» trop souvent employée par les Blancs et déplore que les rencontres entre les deux peuples se fassent armées… «Est-ce là le progrès?». Il enchaîne en félicitant l’apparente passivité anglaise ; «quelques cases chinoises détruites par le canon ne prouveront rien». Le problème est bien plus large et concerne tous les Européens car «pour l’Asie, tous les Blancs se ressemblent». Derrière les tournures élégantes, Paul Morand, pourtant critiqué à maints égards pour ses positions politiques, invite les Occidentaux à repenser leur attitude envers une Chine dévorée par les conflits. L’écrivain diplomate, inlassable voyageur, poursuit ensuite ses pérégrinations avec un ton plus léger. En 1927, il disait dans son ouvrage Le voyage, «S’en aller, c’est gagner son procès contre l’habitude».

FD.

Sources: Paul Morand, Rien que la Terre. Illustration de Pierre Falké pour l'édition de 1929 de Rien que la Terre.
Remerciements à M. Yves Azémar et son inépuisable librairie d'ouvrages anciens sur l'Asie, 89 Hollywood road - Hong Kong.